Entretien avec Guy Deberdt, directeur général de KAOKA

27 février 2017

Guy Deberdt est le directeur général de KAOKA, une entreprise familiale spécialisée dans les chocolats biologiques et aromatiques. Il nous explique comment cette aventure entrepreneuriale conjugue avec succès, depuis près de 25 ans, croissance économique et développement responsable.

Natexbio : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de KAOKA ?

Guy Deberdt: KAOKA est une de ces entreprises qui a la bio « dans ses gènes ». Son histoire commence en effet à la fin des années 70, avec André Deberdt qui milite pour la bio, devient administrateur de Nature & Progrès dès 1980, et s’engage professionnellement en 1982 pour développer les programmes bio en région PACA. En 1988, il crée la SOPPAB (Société Provençale de Production de l’Agriculture Biologique), qui produit et transforme des fruits bio dans le Vaucluse et au Togo. Dès le début, il croit en l’avenir du réseau spécialisé bio, participe aux premières heures du réseau Biocoop, et est l’un des cofondateurs du label Bio Equitable (association Bio Partenaire), dont il sera le président pendant 10 ans. Visionnaire, passionné de voyages, il monte dès 1988 au Togo un programme de valorisation de fruits exotiques déshydratés bio. Il y découvre le cacao, qu’il commence aussi à travailler, pour arriver à la certification d’un des tous premiers cacao bio au monde. En 1991, André Deberdt commercialise une des premières tablettes de chocolat biologique : un chocolat 70 % pure pâte de cacao sans beurre de cacao ajouté. Une révolution à l’époque ! Malheureusement, cette première entreprise s’effondre en 1992 en raison de la situation politique au TOGO. Mais il a pris goût au cacao et, repartant de rien, fonde alors KAOKA en 1993, se concentrant totalement, dès lors, au cacao et au chocolat. Pourquoi KAOKA ? « Le mot est totalement universel, il peut être prononcé dans toutes les langues » disait André.

En 2000, l’aventure équatorienne de KAOKA démarre, initiant ainsi le programme de sauvegarde du cacao « nacional » en Équateur.

En 2001, dans l’archipel de São Tomé & Principe, jadis surnommé l’Île Chocolat, KAOKA se lance dans un défi ambitieux : restructurer une filière abandonnée et relancer la production d’un cacao de grande qualité.

En 2009, KAOKA entame un partenariat avec la CONACADO, une des plus importantes coopératives de planteurs de cacao bio au monde, en République Dominicaine.

Mon père, le fondateur de KAOKA, disparaît malheureusement en 2012, des suites du paludisme.

Présents dans l’entreprise depuis plusieurs années, nous avons repris avec ma sœur le flambeau : « La philosophie actuelle de KAOKA est la continuation directe de l’éthique personnelle de notre père. Nous continuons à cultiver ses valeurs. »

En 2015, KAOKA se lance dans une nouvelle filière de cacao au Pérou, alternative à la production de coca imposée par le Sentier Lumineux il y a encore quelques années.

Natexbio : Vous travaillez aujourd’hui avec 4 filières de cacao biologiques en Equateur, au Pérou, en République Dominicaine et à Sao Tomé. Comment avez-vous développé vos productions ?

Guy Deberdt: Chaque filière a son histoire. Le contexte économique et culturel est différent dans chaque pays producteur. 

A la recherche de cacaos fins et aromatiques, KAOKA a démarré un vaste programme de développement en Équateur pour la sauvegarde de la variété « cacao nacional », un cacao de grand cru aux saveurs florales très recherchées par les professionnels du chocolat. Depuis 2001, KAOKA s’est donc engagé en Equateur pour construire un partenariat durable avec les producteurs et structurer une filière de cacao bio-équitable de qualité. Nous avons également créé une fondation de droit équatorien qui coordonne l’ensemble des projets de développement afin de redynamiser la production du cacao traditionnel équatorien et améliorer globalement les conditions de vie des producteurs de cacao partenaires de KAOKA.

A São Tomé au contraire, où la culture du cacao était en voie de disparition, nous avons tout monté : 35 associations de producteurs ont été regroupées dans une coopérative d’exportation, dans le cadre d’un partenariat public-privé avec le Fonds International de Développement Agricole, une agence de l’ONU. Cette coopérative est devenue la première structure exportatrice du pays, tous produits confondus, pas seulement alimentaires !

La République Dominicaine est un cas à part. La CONACADO est une coopérative forte et indépendante, qui ne nécessite pas autant d’investissement humain et financier que les autres filières. Nous sommes devenus partenaires à long terme de la CONACADO en 2009. A ce jour, nous travaillons en exclusivité avec 580 familles de producteurs membres de cette coopérative.

Pour consolider nos approvisionnements et diversifier nos origines, nous avons commencé à chercher en 2014 une nouvelle zone de production de cacao. Après plusieurs pistes, nous nous sommes positionnés sur le Pérou. Le contexte était particulier mais le défi intéressant et ambitieux ! Nous sommes dans la région de Ucayali, une zone contrôlée par le Sentier lumineux il y a encore quelques années et donc tristement liée au narcotrafic. Dans le cadre d’un programme de lutte contre la drogue, mené par les Nations Unies, les producteurs se sont tournés progressivement vers d’autres cultures dont le cacao. Dans le cadre de ce programme des Nations Unies, KAOKA s’est engagé dans un partenariat à long-terme avec la Coopérative Colpa de Loros qui regroupe 3 groupements de producteurs soit près de 187 familles de producteurs.

Nous ne nous éparpillons pas sur plusieurs petites filières, investissant au contraire uniquement sur de très gros projets, ce qui nous donne notre compétitivité et une maîtrise poussée de nos filières. Au travers de ces filières, avec du cacao acheté à 100% en équitable (référentiel ESR Ecocert), nous faisons vivre près de 4 000 familles de producteurs.

Natexbio : Sur votre site internet  vous présentez KAOKA comme « le chocolatier français bio équitable le plus engagé ». Comment se traduit concrètement votre engagement dans le développement durable ?

Guy Deberdt: Nous ne nous contentons pas d’acheter le cacao aux producteurs à un meilleur prix selon nos besoins annuels en venant visiter les coopératives 1 fois par an pour prendre quelques photos. Nous travaillons en filières intégrées c’est-à-dire que les producteurs sont nos partenaires à 100%, nous leur achetons l’intégralité de leur production au meilleur prix, pré-financée à 100%, nous investissons localement dans les infrastructures nécessaires. Nous avons un appui technique et financier permanent provenant directement de KAOKA, ce qui se traduit par 3 mois par an de présence active sur le terrain à faire vivre nos filières. Comme expliqué précédemment, la majorité de nos filières a été développée directement par KAOKA et l’aboutissement de ce travail s’est concrétisé en 2013 en Equateur où nous avons créé une société d’exportation de cacao Equatorienne dont le capital est en commun avec les associations de producteurs, ce qui montre notre engagement sur le long terme à vouloir travailler conjointement pour garantir un cacao bio de qualité.

Un autre point essentiel de notre engagement est notre programme de rénovation des vieilles plantations. Il faut savoir que la majorité des cacaoyers a été plantée dans les années 70, lorsque le chocolat est devenu un produit de grande consommation. Or, nous sommes arrivés en phase de décroissance de la production car un cacaoyer n’a plus la même productivité au bout de 30-40 ans. Les récoltes des plantations sont de plus en plus faibles, réduisant par conséquent le revenu du producteur. Mon père conscient depuis de nombreuses années de ce problème a mené des recherches, en réalisant de nombreux essais agronomiques en partenariat avec des producteurs volontaires et visionnaires. A la suite de ça, un vaste programme de rénovation a démarré en Équateur puis a été transféré à São Tomé quelques années plus tard. Des jardins clonaux et des pépinières ont été mis en place pour dupliquer les meilleures souches de cacao. Ces souches sont destinées au greffage des vieux arbres improductifs ce qui permet de leur donner une seconde vie et à la densification des plantations clairsemées (en moyenne l’espace utile dans des plantations de cacao traditionnelles est à moitié utilisée). Les résultats sont impressionnants. Un producteur avec une parcelle non rénovée récoltait entre 100 et 200 kg/ha de cacao mais au bout de 3 à 5 ans, après avoir rénové sa plantation selon le modèle de KAOKA, il peut atteindre des récoltes entre 1000 et 1500kg/ha ! C’est donc un enjeu majeur pour le producteur qui voit son revenu global augmenter !

C’est notre vision du commerce équitable et plus largement du développement durable.

Ce programme de rénovation a d’autres effets positifs tel que le maintien de la biodiversité des cacaoyers et le maintien de la qualité aromatique du cacao. C’est une solution alternative aux variétés hybrides monoclonales, qui ont tendance à envahir les plantations ces dernières années. Cultivées en intensif avec de très bons rendements, ces variétés nécessitent beaucoup d’eau et d’intrants chimiques, avec une qualité de cacao moyenne. 

Natexbio : Depuis près de 25 ans, vous confectionnez toute une gamme de chocolats bio équitable. Quels types de chocolats produisez-vous ? Existe-il des différences culturelles de consommation entre les pays ?

Guy Deberdt: Nous sommes en mesure de fournir tout ce qui provient du cacao, à savoir des matières premières cacao/chocolat jusqu’aux produits finis destinés aux consommateurs comme nos tablettes de chocolat. Les produits à la marque KAOKA ne sont que la partie immergée de l’iceberg : nous sommes un fournisseur de matière première (chocolat de couverture, pépites, poudres) important dans le secteur de la bio. De nombreuses entreprises de la bio utilisent du cacao ou du chocolat provenant de KAOKA pour leurs produits qui en contiennent en tant qu’ingrédients.

Globalement les consommateurs bio privilégient le chocolat noir mais ceci peut effectivement varier selon les pays où le chocolat au lait est encore beaucoup consommé notamment les pays en voie de développement.

Natexbio : Du magasin bio à l’artisan en passant par l’industrie, vos clients sont très hétérogènes. Dans quels réseaux de distribution vos chocolats sont-ils vendus?

Guy Deberdt: Pour ce qui concerne la marque KAOKA, nous sommes restés fidèles aux magasins du réseau spécialisé bio qui représentent le mieux les valeurs fondamentales et historique de la bio. Les industriels et les artisans sont livrés en direct ou par l’intermédiaire de distributeurs que nous avons choisi.

Natexbio : Avez-vous développé votre activité à l’export ?

Guy Deberdt: Notre chocolat est commercialisé en France, en Europe mais aussi dans le monde entier, jusqu’au Japon où la notoriété de la marque est forte. Notre chocolat est apprécié pour sa qualité, et pas seulement parce qu’il est bio. Comme fournisseur de matière première, nous sommes un acteur industriel important. Et nous travaillons également avec d’innombrables artisans pâtissiers et chocolatiers, ou encore des grands chefs.

Natexbio : On dit souvent que le chocolat contient de nombreuses vertus. Quelles sont-elles ? Existe-t-il un chocolat meilleur que les autres pour la santé ?

Guy Deberdt: Le cacao a des vertus antioxydantes liées à sa teneur en flavonoïdes et en minéraux (zinc, manganèse, cuivre). C’est une source de magnésium intéressante. On lui attribue également des propriétés anti-stress. On retrouvera donc davantage de ces bienfaits dans du chocolat noir où le taux de cacao est plus élevé que dans le chocolat au lait.

Pour être bon pour la santé, un chocolat doit avant tout être bio. Ensuite, il est important que les consommateurs sachent décrypter les recettes des chocolats c’est-à-dire vérifier l’absence de matière végétale autre que le beurre de cacao, privilégier les chocolats pure pâte de cacao c’est-à-dire sans beurre de cacao ajouté ou en petite quantité. Toujours d’un point de vue santé, nous conseillons les chocolats à fort pourcentage de cacao qui présentent donc un taux de sucre réduit.

Aussi, il ne faut pas oublier que le chocolat est un produit plaisir ! Il est donc avant tout important de se faire plaisir en mangeant du chocolat mais bien entendu avec modération !

Natexbio : Les professionnels des produits biologiques sont aussi des ambassadeurs du bien-être. Quelle est la formule gagnante de votre hygiène de vie ? Avez-vous un conseil à donner à nos lecteurs ?

Guy Deberdt: Un carré de chocolat noir par jour !

Mon hygiène de vie passe bien entendu par la consommation quasi majoritaire de produits bio mais il est plus difficile de manger bio en extérieur, au restaurant ou lorsque je suis dans les pays producteurs où la consommation de bio est encore très peu répandue.

Mais pour moi la bio doit avant tout être un engagement pour préserver la santé de notre belle planète, afin de la laisser dans les meilleures conditions possibles pour nos futures générations.

Propos recueillis par Natexbio

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