La distribution des produits naturels et bio en Chine

27 janvier 2019

« Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » titrait en 1973 le best-seller d’Alain Peyrefitte en s’inspirant d’une citation attribuée à Napoléon ler. Aujourd’hui, non seulement la Chine s’est effectivement éveillée mais elle est devenue la première économie mondiale. Elle produit et achète énormément, avec une ouverture à des tendances de consommation venue du monde occidental, dont les produits bio bien sûr.

De fortes inégalités dans la richesse

Il est loin – c’était en 1966 – le temps où Jacques Dutronc chantait 700 millions de Chinois… Aujourd’hui, la République populaire de Chine (c’est son nom officiel) compte en effet 1,415 milliard d’habitants, dont la moitié vit encore dans les zones rurales de cet immense pays (9,5 Mio de km2, soit autant que les USA). Si la pauvreté extrême a beaucoup diminué, la société chinoise affiche néanmoins toujours de fortes inégalités dans la répartition des richesses, illustrées par le fait qu’en 2017, 1 % des Chinois possédaient 44 % de la richesse totale du pays.

La migration vers les villes, dont la densité de population augmente souvent de façon très critique, touche chaque année des millions de personnes, qui vont grossir, dans le meilleur des cas, la masse des ouvriers travaillant pour un secteur industriel très dynamique. Le secteur agricole représente encore malgré tout aujourd’hui 15 % du PIB du pays et 40 % de l’ensemble des emplois. Du côté de cette agriculture, selon le Carnet Monde 2017 de l’Agence Bio, à peine 0,3 % de la SAU était cultivée en bio en 2015, avec un recul de 16,4 % par rapport à 2014. Malgré cela, yu la taille du pays, la Chine représentait alors 3 % des surfaces agricoles bio du monde (USA 4 % et France 3 %) et 41 % des surfaces bio d’Asie.

De nouveaux comportements alimentaires

Les importations de produits alimentaires en Chine connaissent depuis plusieurs années une croissance annuelle à deux chiffres, autour de 15 % (contre 4 % en moyenne dans le reste du monde) représentant un marché non seulement dynamique mais également fort lucratif (1 et marché mondial pour l’importation de produits alimentaires : 77 Mrd US$ en 2018). Cette croissance -liée à de profonds changements dans les habitudes d’achat – est due entre autres à un manque de confiance envers les produits locaux, suite à de nombreux scandales alimentaires, et aussi à la forte augmentation de la classe moyenne, au pouvoir d’achat supérieur.

Les Chinois sont aujourd’hui à la recherche d’une alimentation favorisant une meilleure santé : produits frais, sans additifs, sans pesticides, hormones et autres ingrédients chimiques, allégés (l’augmentation de l’obésité est un problème en Chine) et bien sûr bio. Parmi les facteurs d’achat figurent non seulement, depuis le début des années 2010, la sécurité mais aussi la qualité: celle des produits comme celle des packagings, plus élaborés avec les denrées importées. La notoriété des marques joue un rôle important, ainsi que le pays d’origine, les USA et la France étant les deux pays préférés. Il faut cependant noter qu’on assiste actuellement à un lent retour de la confiance envers les marques locales.

Autre élément favorisant les importations : les voyages plus fréquents à l’étranger des Chinois, très ouverts à la découverte et à l’innovation, qui font qu’ils s’intéressent de plus en plus à des aliments issus d’autres cultures, occidentale notamment. Acheter des produits importés fait aussi partie de l’image que l’on donne de soi et en offrir est également bien vu, leurs prix étant élevés. A noter aussi que le véganisme gagne du terrain (surtout chez les adolescents et les « millenials »), ce qui est une petite révolution dans un pays qui est le plus gros consommateur de viande de bœuf, de porc et de volaille, le moindre plat traditionnel contenant toujours de la viande.

Le marché bio en Chine

En mandarin, « bio » au sens de produit issu de l’agriculture biologique se dit « yôh dzji ». L’État chinois s’est penché sur la labellisation des produits bio au début des années 2000, un Chinese National Organic Product Standards étant publié en 2005. Actuellement s’applique une version révisée en 2011, le National Standard for Organic Products GB/T19630-2011. En l’absence d’équivalence avec les certifications des autres pays, tout produit importé en Chine doit être certifié localement.

Le logo bio chinois officiel

Si les contrôles des produits bio exportés sont très stricts (pour être conformes aux normes des produits occidentaux importateurs), sur le marché local, ces contrôles sont réputés moins sérieux, sans parler des fraudes, avec notamment l’apposition du logo bio sur des produits qui ne le sont pas. Le manque de confiance assez répandu envers le bio — les Chinois sont en fait assez peu informés – reste cependant un frein à l’expansion, de même que les prix plus élevés de 50 à 350 % par rapport au conventionnel. Le bio est encore un luxe pour beaucoup.

Les acheteurs sont plutôt des urbains, habitant dans les mégalopoles (Pékin/Beijing, Shanghai…), ont entre 30 et 45 ans, appartiennent à la classe moyenne, ont un seul enfant et des revenus annuels égaux ou supérieurs à 32 000 US$. Plus de 30 % des consommateurs de ces classes moyenne et supérieure (estimés à 109 Mio de personnes en 2015, pour atteindre 400 Mio en 2020) achètent régulièrement bio. Parmi eux beaucoup d’employés de bureau (40 % des consommateurs bio) ainsi que de très nombreux étrangers expatriés en Chine.

Selon la FiBL, le marché alimentaire bio se montait en 2015 à 4,71 Mrd € (4e marché mondial après les USA, l’Allemagne puis la France et 1er marché d’Asie, devant le Japon) et à 5,9 Mrd € en 2016. En 2015, la Chine représentait 6 % du marché mondial (7% pour la France, 11 % pour l’Allemagne et 46 % pour les USA). Selon la National Certification and Accreditation Administration chinoise, le marché bio aurait augmenté d’environ 18-20 % en 2017, confirmant la croissance à deux chiffres entre 2012 et 2016 annoncée de son côté par Euromonitor. Depuis 2007, il a triplé. Une partie importante des ventes est représentée par les produits laitiers.

Néanmoins, la part de marché du bio reste faible : 0,5 % de la consommation alimentaire en 2013, 1 % en 2016 et environ 1,1 % en 2017. Les prévisions (optimistes) tablent sur 3 % à l’horizon 2020.

Mentionnons ici, pour information, la très bonne santé également du marché du health food (compléments alimentaires, produits diététiques ou fonctionnels), les ventes ayant lieu en GMS, dans les health food stores indépendants ou de chaîne, en ligne ou par réunion, etc. Son CA est passé de 5,6 Mrd en 2012 à 30 Mrd en 2017, les perspectives étant de 38 Mrd en 2021.

La grande distribution

Fort classiquement, plusieurs canaux se partagent les ventes bio : grande distribution, magasins spécialisés, e-commerce et vente directe (marchés fermiers). Mais comme souvent aussi, la frontière entre « spécialisé » et « conventionnel » est (très) floue. Dans une étude très détaillée réalisée en 2007 par le CESDRRC (China Environment and Sustainable Development Reference and Research Center), il y avait à l’époque 264 points de vente (chiffre dérisoire…) offrant du bio dans tout le pays : 122 magasins spécialisés, 102 super-/hypermarchés, 15 marchés fermiers, 15 restaurants et 10 autres lieux de vente directe. Un nombre passé à environ 500 en 2010, notamment en raison de l’augmentation des points de vente en GMS.

Aujourd’hui, c’est cette GMS qui serait le circuit n°1, avec 75 à 80 % de part de marché. Les hypermarchés du type Carrefour, Auchan, Walmart, Metro, Jusco, Tesco, Lotus et Tops – qui ont des magasins dans la plupart des villes importantes – vendent du bio. Walmart, par exemple, s’approvisionne auprès de ses propres coopératives fermières en Chine. Beaucoup (Walmart, Carrefour…) ont développé une application de livraison à domicile.

Mais surtout, pour répondre à la demande croissante pour des denrées importées, certes déjà largement présentes dans les enseignes susmentionnées, on a vu se multiplier des magasins « premium » (high-end supermarkets). Ils étaient déjà nombreux dans les grandes villes (HK Citysuper, Cityshop, Japan Global Plaza, Parksons, Nextage Department Store…) mais certains se focalisent plus sur une large gamme de produits bio.

Olé Lifestyle Experiences Supermarkets (ici à Shenzen) est un bon exemple de supermarché premium mélangeant les genres, entre bio, épicerie fine et marques internationales de GMS importées (photo Chris dcmaster via Flickr, DR).

Parmi ceux-ci, il faut citer en particulier Olé Lifestyle Experiences Supermarkets, une enseigne créée en 2016 par le groupe China Resources Vanguard (appartenant à l’État chinois et possédant environ 5 000 magasins en Chine et à Hong Kong), dont environ 80 % de l’assortiment est importé, avec un grand nombre de références bio (mais pas tout, loin de là). Elle compte déjà plus de 50 magasins dans le pays. Le mot espagnol Olé a été choisi car il représente « la joie et l’enthousiasme ».

Appartenant aussi à Vanguard et née en 2010, BLT (pour « Better Life Together ») est présentée comme une chaîne de « supermarchés alimentaires bio premium », offrant aussi un important assortiment de produits frais et beaucoup d’épicerie fine non bio. Son design avec du bois et des couleurs naturelles a été conçu « pour rappeler les marchés fermiers».

Les magasins spécialisés

Face au développement du marché, le nombre de magasins spécialisés a augmenté, mais leur part de marché reste limitée. Certains sont des points de vente uniques et d’autres forment des chaînes plus ou moins importantes. On en trouve dans toutes les grandes villes et il est impossible de les citer tous. Nous n’en mentionnerons que quelques-uns : à Beijing Lohao City Organic Shop, BHG Market Place, Lukasu Organic Shop, Crab Island Organic Shop ou Diandian Green Organic Food Shop ; Haikele Organic Food Chain Shops, Tongmai Food, Green and Safe ou Organic Food Specialty Booth à Shanghai ; Planck Organic Food Shops ou Lotusjoy Organic Living Shop à Nanjing… Bien d’autres villes comptent aussi un ou plusieurs magasins bio : Hangzhou, Guangzhou, Shenzen, Xiamen, Quanzhou, Haikou, etc.

Les plus petits de ces magasins ont bien du mal à lutter, en particulier en termes d’assortiment, face à la GMS (ou aux magasins en ligne). D’autant plus (les Chinois n’achetant pas que du bio) que les magasins conventionnels offrent des gammes non limitées au bio, permettant aux consommateurs de faire tous leurs achats en un seul lieu. Deux remarques supplémentaires : la première est que ces magasins « bio » sont loin de ne vendre que des produits certifiés (on trouve aussi beaucoup d’autres denrées importées, épicerie fine par exemple), et la seconde est que certains de ces magasins sont en fait les magasins propres de fabricants, qui ne vendent que leurs propres références et peu (voire pas) de produits de marques concurrentes. Quant aux magasins spécialisés en vitamines, minéraux et produits énergétiques (comme World Health Store à Beijing), ils proposent aussi souvent en plus des références bio et/ou vegan.

Parmi les chaînes « bio » préférées des expatriés, outre Lohao City déjà mentionné (acronyme de Lifestyle of Health and Organic) qui fut le premier magasin bio de Beijing, il faut aussi citer April Gourmet, née en 2000 et spécialisée dans l’importation de produits européens et australiens (avec également un assortiment local). Fin 2017, April Gourmet a ouvert à Beijing un magasin sans caisse, où le paiement se fait via une application sur smartphone après scan des produits. Autre enseigne réputée, celle des petits supermarchés Jenny Lou’s, créée en 1993. Là aussi l’assortiment comporte de nombreux produits importés non bio, épicerie fine, vins…

E-commerce et marchés fermiers

Le commerce en ligne connaît actuellement une croissance fulgurante dans le pays, les consommateurs chinois les plus aisés et les plus jeunes étant particulièrement « technophiles », connectés et très friands des médias sociaux. Plus que les prix, c’est la possibilité de commander et à tout moment qui attire les usagers, qui pour beaucoup se sont détournés des magasins spécialisés et même de la GMS, qui ont dû se mettre aussi à la vente en ligne via ordinateur ou smartphone.

Les ventes par appareil connecté avec livraison à domicile connaissent une croissance fulgurante, avec de nombreux acteurs spécialisés, comme Kate&Kimi (photo page Facebook kateandkimi, DR).

Cet e-commerce joue donc aussi un rôle majeur dans la croissance du marché bio. Les épiceries en ligne généralistes, comme Nogogo, proposent en général un grand nombre de références bio. Et parmi les nombreuses e-boutiques livrant à domicile spécialisées dans le bio (là aussi en général pas exclusivement), il faut citer Fields China, Kate & Kimi, Tony’s Farm, 1mutian, Epermarket, OrganicFarm.com. Si ce dernier ne livre que sur Beijing, Fields China par exemple, créé en 2012, livre par contre dans 200 villes à travers le pays, le site étant disponible en plusieurs langues, dont le français, ciblant clairement les expatriés. Certains sites se sont spécialisés sur des produits précis, comme le lait et les yaourts. Fondé en 2004 Tony’s Farm est une véritable institution, qui possède à Shanghai un Organic Experience Center, avec un restaurant bio, et compte neuf bases agricoles dans le pays, d’une superficie totale de plus de 12 000 ha de culture biologique, faisant vivre plus de 100 000 familles. Beaucoup d’e-boutiques sont d’ailleurs assises sur des réseaux de fermes bio, comme 1 mutian ou encore TooToo Organic Farm.

Les marchés traditionnels représentent enfin un canal de distribution directe qu’il ne faut pas oublier, en plus de la vente en ligne ou de la vente à la ferme. Le marché le plus connu est sans nul doute Beijing Organic Farmers Market, créé en 2010, qui possède d’ailleurs aussi deux magasins collectifs à Beijing. Trois marchés sont organisés chaque semaine, avec une cinquantaine d’exposants qui attirent à chaque fois des milliers de clients.

Michel Knittel dans BioLinéaires n°81 – Janvier / Février 2019


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