La distribution des produits naturels et bio en Russie

8 mars 2018

La Russie, ce sont 147 millions d’habitants dans un immense pays dont 80 % de la population se concentre sur l’Europe, soit 25 % de sa superficie. Son PIB 2016 par habitant, en diminution permanente, classe le pays en 49e position, juste après la Malaisie et la Grèce. Le tout dans une ambiance politique tendue et une disparité sociale extrême, 1 % de la population concentrant 75 % des richesses nationales. Dans ce contexte, la bio affiche une effervescence parfois surprenante.

 

Les magasins Globus Gurme sont des supermarchés haut de gamme qui sont un acteur important de la distribution bio en Russie (photo Globus Gurme, DR).

Un embargo alimentaire aux nombreuses conséquences

En 2017, la Banque Mondiale a déclaré la Russie officiellement sortie de la récession, après plusieurs années de difficulté. Une croissance de l’économie de l’ordre de 1,7 % est attendue en 2018, dont un des bénéficiaires sera le secteur agro-alimentaire. Le pays est le 3e plus gros importateur au monde d’aliments et de boissons (28 Mds $ en 2017). Mais depuis août 2014, en représailles aux sanctions économiques visant la Russie suite à la crise en Ukraine, Vladimir Poutine a décrété un embargo sur certains produits provenant entre autres de l’Union Européenne et des USA. Viandes et produits dérivés à base de bœuf, porc, volaille, poissons et produits de la mer, fruits et légumes, produits laitiers, etc. ne sont plus importés. Ne sont par contre pas concernés par cet embargo le vin, la bière, les spiritueux, le thé et le café, les produits de panification, de pâtisserie et de confiserie, qui ont représenté en 2016 plus de 3,3 Mrds $ d’importation. Après plusieurs années de baisse, ce chiffre a augmenté de 11,4 % en 2017. Cet embargo a profité d’une part aux pays non visés par les mesures de rétorsion (en Afrique, Asie, Amérique centrale et du Sud) ainsi qu’à l’agriculture russe, qui a dû remplacer par des produits locaux ceux qui manquaient.

En Russie, la part de l’agriculture dans le PIB est 3 fois plus grande qu’en France (4,5 % en 2016 contre 1,5 %), mais la proportion de surface agricole utile cultivée en bio y est dérisoire : avec seulement 0,2 % en 2015, la Russie apparaît en 114e position dans le monde, entre la République de Macédoine et le Soudan (France 31e position avec 4,91 %). Selon le rapport 2017 de I’IFOAM, il n’y avait en 2015 en Russie que 82 producteurs bio et 37 transformateurs bio (contre respectivement 28 884 et 11 842 en France).

La consommation alimentaire

Les dépenses des consommateurs pour l’alimentation et la boisson representent environ 53 % des ventes de détail en Russie, soit un marché de 150 Mrds $ malgré les difficultés économiques. Dans le monde le pays est le 8e marché pour les aliments et boissons préemballés, dont la demande devrait croître de 7,7 % d’ici 2020, après la baisse constatée ces dernières années. Parmi les secteurs en croissance figurent les produits surgelés, les produits halal (il y a 20 millions de musulmans dans le pays, dont 2 à Moscou, générant un marché alimentaire halal de 1,1 Mrd $) et celui des produits bio et bénéfiques pour la santé. Les prix alimentaires sont cependant très variables, et si les produits frais et transformés locaux sont moins chers qu’en Europe occidentale, les produits importés sont beaucoup plus onéreux.

Le marché alimentaire « bio »

En décembre 2015, le président Poutine a déclaré qu’il voulait que la Russie devienne le plus gros fournisseur mondial d’aliments bio. Dans le cadre d’une « Initiative Technologique Nationale », l’objectif est de prendre 10 à 15 % du marché mondial des produits biologiques d’ici 2035. Un discours qui semble surtout politique et peu réaliste à court terme, notamment avec les craintes relatives à la future certification locale. Car les guillemets s’imposent pour le mot « bio » en Russie. Le projet d’une certification officielle évoqué depuis des années n’a pas encore été concrétisé, les spécialistes craignant de toute façon que son niveau d’exigence soit très inférieur à celui des certifications « occidentales ».

La conséquence de cette absence de certification (et des faibles connaissances des consommateurs) est que nombreux sont les fabricants nationaux ou les fermes à promettre des produits « bio » ou « écologiques » pour les rendre plus attractifs (et les vendre plus chers), alors même qu’ils peuvent receler des pesticides, des OGM ou des hormones de croissance, la crainte de la corruption n’améliorant pas la confiance même en cas de contrôles éventuels. Une autre conséquence est que les chiffres de ce marché sont non seulement rares mais sans doute également peu fiables.

L’IFOAM, dans son rapport 2017, ne donne qu’un chiffre datant de 2012 : 120 Mio € pour les ventes de détail, soit à peine plus que les 99 Mio € de la Croatie (2014), peuplée de 4 Mio d’habitants. Cela représente une dépense moyenne de 0,80 € par personne en Russie en 2015 (pour 83 € en France et 106 € en Allemagne la même année).

Selon l’Union Nationale Biologique russe, le marché aurait atteint 178 Mio $ en 2015, contre 116 Mio $ en 2010, 3 % des Russes consommant régulièrement des produits bio. Cette Union prévoyait un marché de… 250 Mio $ a la fin 2017. Selon le cabinet NeoAnalytics par contre, le marché n’aurait été en 2016 que de 90 Mio environ, dont 80 à 85 % d’importation. En tout état de cause, la part de marché du bio tournerait donc au maximum autour de 0,1 %.

Concernant les produits emballés bio, d’après Euromonitor, ils représentaient 12 Mio $ en 2015, avec une croissance actuelle de 4 % par an. Mais seule une petite partie des Russes achète bio : statistiquement, ceux-ci vivent à Moscou ou Saint-Pétersbourg, ont entre 25 et 45 ans, ont fait des études supérieures et appartiennent à la classe moyenne avec un niveau de revenu moyen à élevé. Seuls 20 % des Russes peuvent être classés parmi ceux ayant un pouvoir d’achat suffisant, le différentiel de prix entre conventionnel et bio atteignant 20 à 200 %. Force est de constater que le développement du marché est fortement contrarié par la faible demande des acheteurs de masse, stoppés par les prix élevés, dans un contexte de crise persistante, malgré l’amélioration constatée par la Banque Mondiale.

Vente directe et épicerie fine

A l’instar de ce qui se voit dans les autres pays développés, bien que la distribution bio puisse être qualifiée encore de « balbutiante », plusieurs circuits se partagent le marché, mais sans qu’il soit possible d’avoir des chiffres précis, pour les raisons évoquées plus haut.

Beaucoup de produits viennent directement des fermes et sont vendus sur les marchés, facette traditionnelle de la vie russe, mais qui perdent du terrain face à la distribution alimentaire traditionnelle. On trouve sur ces marchés, ou il faut négocier les prix (élevés), des produits importés rares, des fruits et légumes de saison et beaucoup de produits traditionnels de fabrication artisanale. À Moscou, le plus ancien marché couvert est celui de Danilovskiy et le plus grand est celui de Dorogomilovskiy, avec un labyrinthe de boutiques. Tsvetnoy Central Market se décline également sur plusieurs étages.

Nombre de ces marchés sont aussi des marchés couverts haut de gamme, plus ou moins différenciés des grands magasins d’épicerie de luxe. Parmi ceux-ci figure Globus Gurme (une société allemande) qui, avec 6 magasins à Moscou et 2 à Saint-Pétersbourg, serait le leader de la vente bio. Son credo, ce sont les produits gastronomes et sains, sans OGM ni conservateurs ou colorants artificiels (plus de 10 000 références).

Autre exemple, LavkaLavka, qui est à la croisée de la vente directe et de l’épicerie fine. C’est une coopérative agricole qui a ouvert une boutique en ligne et 6 magasins à Moscou, certains avec un restaurant. La gamme est basée sur les produits fermiers, authentiques et traditionnels, venant uniquement de petits et moyens producteurs. LavkaLavka travaille étroitement avec l’IFOAM depuis 2016.

Appartenant au X5 Retail Group (leader de la GMS en Russie), un magasin à l’enseigne Перекресток à (photo X5 Retail Group).

La GMS

Le secteur de la GMS, beaucoup moins concentré qu’en France, est très dynamique, le nombre de magasins augmentant sans cesse, certaines chaînes en ouvrant plusieurs centaines par an. Le leader en est X5 Retail Group, avec plus de 11 000 points de vente de tous formats dans tout le pays, aux enseignes Pyaterochka, Perekrestok, Karusel. Ex-n°1, aujourd’hui 2e, le groupe Tander possède près de 15 000 magasins, à l’enseigne Magnit. En 3e position se trouve Auchan Retail Russia, avec actuellement plus de 300 magasins, mais qui prévoit d’en ouvrir prochainement 2 500, en majorité des petits magasins de proximité. Lenta est le n°4, avec environ 300 magasins également, principalement des hypermarchés. Vient ensuite Diksi (3 000 magasins Diksi, Minimart, Megamart…). Mais il y a aussi de nombreuses autres chaînes, comme O’Key (145 magasins discount à l’enseigne Da!) ; le groupe Metro (environ 70 magasins) ; Krasnoe & Beloe avec plus de 4 700 magasins dans toute la Fédération, vendant essentiellement des vins et spiritueux mais également de l’épicerie ; Spar avec plus de 80 magasins, etc.

La plupart de ces enseignes proposent des produits bio, parfois juste quelques uns (O’Key : 5 références sur son site de vente en ligne), ou quelques dizaines (Perekrestok du X5 Retail Group) voire une centaine, comme dans la boutique web d’Auchan (produits à marque propre, d’importation ou produits laitiers russes).

À ces enseignes il faut ajouter Azbuka Vkusa, des supermarchés haut de gamme, avec une cinquantaine de magasins à Moscou et une dizaine à Saint-Pétersbourg. Leur assortiment (avec beaucoup d’importations) est centré sur le «meilleur» : du frais, des produits fermiers et du bio (environ 70 produits alimentaires et cosmétiques proposés dans leur boutique en ligne). Il faut aussi mentionner le groupe Bahetle, basé en république du Tatarstan (qui fait partie de la Fédération de Russie). En raison de cette origine, une grande partie de l’assortiment – avec beaucoup de spécialités tatares – est halal, mais 70 % de leurs clients ne sont pas musulmans : ceux-ci achètent des produits halal parce qu’ils sont réputés être de meilleure qualité et contrôlés rigoureusement. Bahetle possède une boutique en ligne et une trentaine de magasins (8 à Moscou). L’assortiment comporte également des produits bio et, parce que la sante est au cœur de leur discours, certains de leurs magasins proposent aussi des consultations endocrinologiques et pédiatriques !

Les magasins spécialisés

Quasi inexistants il y a 10 ans, des dizaines de magasins bio, impossibles à quantifier, ont ouvert depuis le milieu des années 2000 dans les grandes villes, surtout à Moscou et Saint-Pétersbourg, en général doublés de boutiques Internet. De plus en plus de petits magasins modernes indépendants s’ouvrent d’ailleurs actuellement après une première expérience de vente uniquement en ligne.

La société Arivera est un des plus grands distributeurs russes de produits bio. Outre des importations certifiées selon les normes européennes ou USDA, elle a une petite gamme bio propre également certifiée selon la réglementation européenne. Elle possède ses propres entreprises de production agricole, une société d’importation de cosmétiques bio, une boutique en ligne sous le nom Arivera et, à Moscou, 2 magasins bio à l’enseigne Biostoria.

Season Market est un autre « vrai » magasin bio moderne, avec entre autres des produits en provenance directe d’agriculteurs qui, après avoir vendu uniquement en ligne (600 références), a ouvert fin 2015 sa première boutique à l’Aviapark de Moscou, le plus grand centre commercial d’Europe. Parmi les pionniers dans la capitale figurent aussi Eco’Market, avec beaucoup de produits importés (et chers), ou encore Jagannat, avec plusieurs adresses à Moscou, plus d’autres ailleurs, qui ont également un restaurant.

La chaîne Organic Market, née en 2012, rebaptisée Ugleche Polje en 2013, est basée dans la région de laroslavl, au nord de la capitale. Outre sa boutique Internet, elle possède 5 magasins bio à Moscou et environs et un autre à laroslavl. Elle est l’émanation d’une coopérative agricole, AgriVolga, toutes ses productions étant annoncées comme certifiées bio.

Assez récente, la chaîne de supermarché VkusVill possède 400 magasins dans la région de Moscou, prévoyant d’en ouvrir plus de 1000 à travers le pays. Nous l’avons gardé pour la fin car, si son créneau affiché est « l’alimentation saine », surtout en marque propre, les critiques à son égard sont nombreuses car « proposer des produits non frelatés n’en fait pas pour autant des produits bio », à quoi s’ajoutent des emballages non recyclables, des cosmétiques contenant des parabens ou du SLS, etc. Enfin, mentionnons également certaines dérives, comme Sol i Hleb (Sel et pain), chaîne de magasins bio orthodoxes de Saint-Pétersbourg, avec des produits présentés à l’ancienne, vendus très chers, qui s’est fait remarquer en 2017 avec des panneaux interdisant l’entrée aux homosexuels.

Le magasin magasin Biostoria de l’avenue Leninski Prospekt, une des principales artères de Moscou (photo Biostoria, DR).

La vente en ligne et la cosmétique

La vente en ligne semble représenter une part importante des ventes. La plupart des magasins de produit bio ou naturels (ou vendus comme tels) ont en parallèle un site Internet comme souligné à plusieurs reprises. Deux acteurs majeurs sont Arivera, déjà cité, ainsi que Vsë Svoë, actifs sur Moscou et environs. Comme beaucoup, Vsë Svoë promet des produits fermiers « sans nitrates, sans conservateurs, issus de zones écologiquement propres ». Sans s’afficher bio, elle propose aussi par exemple, sous la marque « Diyeticheskiye produkty » (Produits diététiques), quelques produits transformés « naturels, utiles, cultives sans utilisation du génie génétique ni additifs chimiques ». Parmi les nombreux autres sites, Biograd Produkt, basé à Saint-Pétersbourg, propose de son côté non seulement de l’épicerie et des cosmétiques bio (beaucoup d’importation, certifiés), mais aussi des produits écologiques pour la maison et des jouets en bois naturel.

A propos de cosmétique, le marché bio apparaît relativement porteur. Le grand salon russe de la cosmétique, InterCharm, lui accorde chaque année une place importante. Le groupe Arivera, déjà cité, importateur de nombreuses marques cosmétiques occidentales via sa filiale Bionavtika, possède également sa propre structure de vente directe, à l’enseigne Biozka, avec un site de vente en ligne et 2 boutiques de cosmétique naturelle à Moscou et une autre à Mourmansk. On peut aussi citer, parmi les initiatives indépendantes toujours à Moscou, Love-Organic ou Ecoyou, de même émanations de magasins en ligne. Enfin et surtout, il ne faut pas oublier Organic Shop, à ce jour la plus importante chaîne de magasins de cosmétiques bio, créée par le seul grand fabricant russe de cosmétiques naturels et bio certifiés. Elle possède à ce jour 5 magasins à Moscou et 1 à Saint-Pétersbourg.

Pour conclure, si le marche bio de cet immense pays qu’est la Fédération de Russie est encore extrêmement modeste, il affiche donc une effervescence qui laisse présager un avenir intéressant dès lors que les conditions économiques s’y prêteront.

Michel KnittelBio Linéaires n° 76 mars/avril 2018

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