Entretien avec Raphaël Faucheux, Président de la Coopérative de magasins bio indépendants, BIOMONDE.

28 avril 2022

Raphaël Faucheux nous expose son point de vue à la fois en tant président élu en mai 2021 et gérant d’un magasin bio à Lille, et nous livre aussi sa vision transversale d’un marché en pleine mutation.

Raphaël Faucheux, Président de Biomonde

Raphaël, cela fait maintenant un an que vous avez été élu Président de Biomonde, que peut-on dire de cette première année ?

Raphaël Faucheux : C’est une année extrêmement riche que nous vivons, qui a permis à la coopérative de mener de nouveaux projets dans une logique de refondation, une année qui nous permet de repartir de l’avant après un temps d’arrêt, qui a servi aux adhérents à s’interroger sur ce qu’ils voulaient comme modèle de groupement, et a permis de réaffirmer notre modèle de coopérative. Des engagements ont été votés en Assemblée Générale en octobre 2021, pour avoir un collectif aligné, au niveau de nos achats, avec un tronc d’assortiment commun, au niveau des engagements des adhérents par rapport à la co-identité, avec un nouveau modèle de financement pour permettre l’autonomie de la coopérative, le tout en lien étroit avec nos partenaires fournisseurs. Je tiens à préciser que Biomonde a choisi d’aller à contre-courant de ce que beaucoup d’autres ont fait, à savoir : pas de marque propre chez nous afin de mettre en avant et de valoriser les savoir-faire de nos fabricants, et leur donner toute la lumière en magasin, en étant à leur côté, et non faire à leur place. 

Chez Biomonde, nous militons pour une bio différenciante, à taille humaine, exigeante et locale, ancrée dans nos territoires, axée sur le goût et le plaisir de faire ensemble. Biomonde s’est remis en ordre de marche et a réaffirmé ses fondamentaux, tout le monde s’est remis au travail. Notre assemblée générale annuelle approche à grands pas (mi-juin), et va nous donner l’occasion de faire un bilan de l’année écoulée, réaffirmer ce que nous nous sommes dit et aller plus loin dans nos engagements collectifs.

Natexbio : Pouvez-vous nous rappeler votre parcours professionnel, et ce qui vous a conduit chez Biomonde ?

RF : Je viens de Lille, j’ai 45 ans, je suis marié, j’ai deux garçons. Je suis arrivé dans la bio à 22 ans, mes parents avaient ouvert un magasin en 1998 que j’ai rejoints rapidement par les hasards de la vie. Et aujourd’hui, je suis toujours là. J’ai donc connu différents cycles de marché, j’ai vu évoluer la Bio, les groupements, je milite depuis toujours pour une logique de magasins indépendants, à taille humaine, avec des acteurs engagés qui connaissent leur métier, qui aiment leurs clients et sont à leur service. Ainsi, il y a quelques temps, j’ai ressenti ce besoin justement de m’engager plus fortement avec d’autres, pour faire ensemble en partageant une même vision de la Bio et un socle de valeurs communes autour de l’humain, de la solidarité, de la juste redistribution de la richesse créée… c’est ce qui m’a amené à frapper à la porte de Biomonde, d’y entrer il y a 18 mois, de m’y investir et avec aujourd’hui un niveau important de responsabilités. Auparavant, j’étais dans un autre réseau de magasins Bio indépendants, efficace au niveau des achats, mais j’avais vraiment envie de vivre une nouvelle aventure collective. Chez Biomonde, nous travaillons ensemble entre adhérents. Nous croisons et mutualisons nos expériences aux côtés de notre équipe de permanents. C’est très précieux en termes de technicité, de savoir-faire. C’est un vrai service.

Natexbio : Biomonde, c’est combien de magasins aujourd’hui en France ? Quelle en sont les forces ?

RF : Actuellement 170, nous avons l’objectif d’arriver rapidement à 180 magasins. Tous appartiennent à leur gérant ; certains en possèdent deux, ce sont des surfaces de taille plutôt moyenne qui peuvent aussi bien se situer en centre ville ou en périphérie. Quant à la coopérative, elle est entièrement au service de ses adhérents. L’implication de nos adhérents dans la vie locale de leur territoire est un de nos atouts, parmi d’autres. Aujourd’hui, nous constatons que nos consommateurs sont un peu « perdus », ils ont besoin de se faire réexpliquer la valeur ajoutée du label AB. Nous devons être très pédagogues avec eux, et ça n’a de sens qu’avec la proximité que nous entretenons avec eux, comme celle que nous entretenons avec nos producteurs. Chaque magasin est unique, non standardisé, avec son ADN et sa typicité locale, avec la bannière Biomonde d’un côté, mais aussi leur nom propre de l’autre, c’est une co-identité. Et aujourd’hui l’actualité nous rattrape et nous donne raison : ce que nous avons toujours défendu, l’esprit de coopérative avec des magasins à taille humaine, une logique locale, une bio cohérente et transparente, prend tout son sens avec ce qui se passe au niveau énergétique et des transports. Plus que jamais nos approvisionnements vont devoir continuer à se régionaliser et se concentrer sur cette dynamique de distance la plus courte possible entre le champs et l’assiette, sinon nous risquons d’assister à une envolée des coûts. Autre force à souligner : cette notion de « collectif » qui se regroupe au niveau régional, d’échanges entre pairs, avec la confiance et la solidarité qui permettent à chacun de ne pas se sentir isolé, de partager et trouver des solutions sous le regard bienveillant des autres ; ça n’a pas de prix, et ça ne se trouve pas ou très peu dans d’autres réseaux.

Biomonde Bio des Pins
Biomonde Quimper
Biomonde Coeur de Chartres

Natexbio : Comment décririez-vous votre marché en 2022 ?

RF : Je ne vous apprends rien, nous vivons actuellement quelque chose d’assez inattendu, et peu évident à décrypter. Le marché est actuellement à l’arrêt, voire même en recul, avec des consommateurs qui ont fait évoluer leurs modes de consommation suite à la crise sanitaire. Durant le premier confinement, il y avait du monde et de la vie dans les magasins, tous nos clients avaient du temps pour cuisiner en famille, chacun était convaincu de l’utilité de changer ses habitudes de consommation et aspirait à un nouveau mode ! 2 ans après, retournement de la situation, perte de repères des consommateurs, sans crise qui mette à mal la légitimité de notre référentiel AB, mais des clients qui commencent à avoir peur de l’avenir, de perdre du pouvoir d’achat, peur des élections, de la situation géopolitique, du coût de l’énergie… Nous sortons de deux années de crise du covid, avec des privations de libertés qui font qu’aujourd’hui il y a des arbitrages qui sont faits dans les choix alimentaires et qui sont assez surprenants. Les privations subies renvoient à des désirs accrus de liberté, quitte à renier ses engagements. La peur de l’avenir amène à ne pas vouloir changer ses habitudes, à rester dans sa zone de confort. Nous constatons un écart important entre les intentions sociétales, environnementales et l’acte d’achat. Notons également que durant cette même période, le monde du travail a été profondément chamboulé, sa vision et son organisation ont changé, ce qui amène aussi des évolutions de consommation. Donc charge à nous, magasins Bio indépendants, qui avons une technicité et un savoir-faire, un conseil, à nous adapter et à expliquer sans relâche ce qu’est un produit Bio et l’impact positif de l’agriculture biologique sur les sols, la biodiversité, la santé, l’environnement, pour notre notre planète… Il nous faut prendre du temps et redonner confiance à nos clients, ils en ont besoin. Les labels sont devenus plus compliqués à comprendre, il y en a beaucoup, dont certains avec une promesse proche du « Greenwashing » relayée par de puissantes campagnes de communication qui amènent trop de confusion. Nous devons aider nos consommateurs à faire un choix éclairé et le plus cohérent possible. Nous avons enfin un rôle à jouer auprès des pouvoirs publics et des décideurs politiques. Nous devons les aider à comprendre que notre filière détient de nombreuses clefs pour répondre aux enjeux sociaux, climatiques, énergétiques et de transition écologique auxquels nous devons aujourd’hui faire face collectivement. Leur soutien à notre filière Bio est nécessaire et indispensable.

Natexbio :  Quels projets pour cette année ?

RF : Nous venons de lancer une nouvelle gamme, « La Sélection », une gamme co-créée entre adhérents et permanents, qui a pour but de mettre en avant le savoir-faire de nos fournisseurs sans pour cela créer de MDD (marque de distributeur).  Nous préférons valoriser à travers cette gamme les compétences de nos producteurs ; elle comporte 49 références, dont une douzaine en tronc commun que nous retrouvons dans tous les magasins Biomonde. C’est une gamme qui comporte de l’épicerie sucrée, salée, des boissons… l’idée étant de proposer une variété de références qui répondent à des critères exigeants, tous les fournisseurs ayant été soumis à une grille d’évaluation comportant des critères de labels, d’origines des ingrédients, de RSE… qui ont donné un score leur permettant de rentrer dans cette gamme. Ce sont de bons produits bien faits, pour une bio « plaisir » qui amène du goût. L’idée finale est que Biomonde reste un acteur qui aide ses consommateurs à mieux choisir les meilleurs produits.

Gamme « La Sélection » Biomonde

Natexbio : Quels engagements, quelle RSE pour Biomonde ?

RF : Nous siégeons au Synadis Bio et nous travaillons sur l’adaptation du label « Bio Entreprise Durable » des transformateurs vers les distributeurs – j’ai été personnellement le premier magasin à être certifié en 2017 – et nous aimerions pouvoir expérimenter ce référentiel sur un groupe de magasins pilote. Il faut préciser que nos magasins sont déjà acteurs chacun de leur côté pour la gestion des déchets, le vrac en épicerie, ou le vrac liquide pour certains, sur les énergies renouvelables, sur la logistique des transports, sur le social avec leurs collaborateurs, le gaspillage, le commerce équitable…donc il serait intéressant pour Biomonde de mettre à l’honneur ces magasins qui sont dans une démarche de progrès, et qui ne s’arrêtent jamais dans cette démarche de bio exigence, avec laquelle ils peuvent faire la différence. Nous vendons des produits bio, pas n’importe lesquels, pas à n’importe quel prix, et au-delà nous avons une raison d’être de manger sainement, de bien consommer. Avec l’urgence climatique qui s’accentue, notre devoir est de faire évoluer nos clients vers ces comportements. Quand vous proposez une bio exigeante, bonne et joyeuse, il n’y a pas de raisons que les choses n’avancent pas.

Natexbio : Serez-vous présent à Natexpo Lyon cette année ?

RF : Nous y étions présents en tant qu’exposant lors des dernières éditions. Cette année nous viendrons à nouveau mais en tant que visiteur cette fois. C’est pour nous un rendez-vous important pour rencontrer nos fournisseurs et nos partenaires et découvrir les nouvelles marques pépites, différenciantes, que nous aimerions voir rentrer dans nos magasins.

Propos recueillis par Christophe Beaubaton pour Natexbio

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