La distribution des produits naturels et bio au Luxembourg

25 janvier 2020

Le Grand-Duché du Luxembourg est un pays qui fait l’objet de bien des fantasmes de la part de la plupart des Français, avec son niveau de vie que l’on sait élevé et surtout sa politique fiscale très favorable aux entreprises. Une politique fiscale qui a attiré un grand nombre de banques, de compagnies d’assurances et autres firmes internationales, et surtout les peu réputés fonds d’investissements. Mais derrière ce raccourci, il y a aussi un pays à la nature très verte et des habitants qui comptent parmi les plus gros consommateurs de bio.

Naturata est le leader de la distribution spécialisée au Luxembourg. Ici le restaurant et supermarché bio de Schuttrange, localité où se trouve le siège du groupe (photo courtoisie Oikopolis).

Un pays très prospère

614 000 habitants sur 2 600 km2, soit à peu de choses près la population de l’Indre-et-Loire (qui n’est pourtant que le 40e département français sur le plan de la population) et un peu plus que la superficie des Yvelines, qui est le… 89e français en surface (Outre-mer non compté). Mais s’il est petit par la taille, le Grand-Duché est surtout le 3e pays au monde qui produit le plus de richesses, derrière Monaco et le Lichtenstein, avec un PIB par habitant de plus de 100 000 US$ (donnée Banque mondiale décembre 2019), valeur certes dopée par le fait que les nombreux travailleurs frontaliers ne sont pas pris en compte pour le calcul. Il n’en reste pas moins que le salaire moyen au Luxembourg est le plus élevé de l’Union européenne.

Le secteur bancaire et financier compte pour une grande partie dans cette richesse, de même que certaines industries de pointe, héritage d’un important passé sidérurgique, entre autres. De son côté, la part de l’agriculture dans le PIB n’est que de 0,3 %, contre 0,7 % en Belgique et en Suisse et 1,6 % en France (chiffres Banque mondiale 2018), bien que le pays soit largement couvert de campagne et de forêt (un tiers du pays est constitué de collines boisées), la Moselle qui le traverse étant à l’origine d’une activité viticole très ancienne.

Une production bio modeste

Durant la seconde moitié du 20e siècle, l’agriculture luxembourgeoise a été « marquée par la disparition de 8 000 exploitations agricoles, une régression de la superficie agricole utilisée de 6 000 ha, une diminution de la population et de la main-d’oeuvre agricole, un essor de la mécanisation, un recours croissant à l’innovation grâce à de nombreux moyens et techniques de production nouveaux et une nette réorientation des productions de grande culture vers la production bovine et l’apparition de l’agriculture biologique. On assiste à un processus de concentration des exploitations et d’accroissement de la productivité. Depuis 1962 le nombre des exploitations principales de plus de 50 ha a sextuplé et leur taille moyenne est passée de 64 ha à 104 ha ».1

Fin 2018, les 5 800 ha exploités en agriculture bio représentaient 4,2 % de la surface agricole utile (5,5 % des exploitations agricoles). En 2016, cette part bio de la SAU était de 3,3 %, montrant une évolution positive de la situation en comparaison du début des années 2010, où les chiffres reculaient. Pour mémoire, la part de SAU cultivée en bio était en 2018 de 7,5 % en France et de 6,6 % en Belgique. Au 31 décembre 2018, alors que le pays comptait environ 2 000 agriculteurs, 77 seulement étaient enregistrés auprès de l’Administration des services techniques de l’agriculture (ASTA), contre 75 en 2017, ainsi que 12 maraîchers et 15 viticulteurs (idem en 2017), et 11 arboriculteurs (12 en 2017). Dans le domaine de la transformation et de la distribution, 97 transformateurs (boulangeries, boucheries, laiteries… « et toute autre entreprise active dans le façonnage, le ré-emballage et/ou l’étiquetage des produits primaires d’origine biologique ») étaient enregistrés en 2018 (90 en 2017), ainsi que 38 distributeurs et/ou stockeurs « garantissent l’acheminement de produits biologiques depuis le producteur ou transformateur vers le consommateur final » (28 en 2017), 8 importateurs (depuis des pays tiers hors UE) contre 6 en 2017 et enfin 12 points de vente (9 en 2017).

Label bio luxembourgeois

Notons qu’il existe un label bio spécifiquement luxembourgeois, baptisé « Bio Lëtzebuerg », Lëtzebuerg étant le mot luxembourgeois désignant le Luxembourg (si le français, largement compris, est une des langues officielles du pays, le Grand-Duché est néanmoins essentiellement germanophone, contrairement à ce que croient les Français). Les producteurs utilisant cette marque collective sont membres de l’association Bio- Lëtzebuerg a.s.b.l. et leurs produits agricoles doivent remplir trois conditions se rajoutant au cahier des charges européen : conversion intégrale de l’exploitation ; interdiction de l’achat et de l’utilisation d’engrais, de lisier et de fumier provenant de l’agriculture conventionnelle, de même que de farine de viande, de sang ou d’os ainsi que de compost des ordures ménagères ; interdiction d’alimenter exclusivement les ruminants avec de l’ensilage pendant toute l’année : en été, ils doivent recevoir du fourrage vert…

mais une consommation élevée

Selon le rapport annuel conjoint de la FiBL et de l’IFOAM, The World of Organic Agriculture – Statistics & Emerging Trends 2019, dont les chiffres concernent cependant au mieux l’année 2017 en général, le Luxembourg était cette année-là le 4e pays au monde sur le plan de la consommation par habitant, avec 203 € par personne, derrière la Suisse (288 €), le Danemark (278 €) et la Suède (237 €), et devant l’Autriche (196 €). La France était la 9e de ce classement (118 €), derrière l’Allemagne et les USA à égalité (122 €).

Pour ce qui est de la part de marché du bio dans la consommation totale, le Luxembourg est également très bien placé, pointant en 5e position : Danemark 13,3 %, Suède 9,14 %, Suisse 9 %, Autriche 8,6 %, Luxembourg 7,3 % (6,2 % en 2016). Bon classement également (5e place) pour la croissance du marché 2017 vs. 2016, avec + 14 % (France 1ère place avec + 18 %).

Résultat du décalage entre la faible importance de l’agriculture bio (et le nombre peu élevé de transformateurs) et la consommation forte et en croissance, la production bio ne suit pas la demande et la plupart des aliments bio proviennent de l’étranger.

La GMS leader, comme souvent

Toujours selon le rapport 2019 FiBL/FOAM, le marché bio de détail luxembourgeois s’est monté à 122 Mio € en 2017 (France 7,9 Mrd €, Suisse 2,4 Mrd €, Belgique 632 Mio €), représentant le 16e marché de l’Europe géographique, devant les 120 Mio € de la Russie (mais 147 Mio d’habitants !).

Selon le dernier rapport disponible (2017) « La Bio dans l’Union européenne » de l’Agence Bio (qui se base sur « différentes sources européennes »), c’est une fois de plus, comme dans bien des pays, la GMS qui serait le leader de la distribution bio au Luxembourg, avec un peu plus de 60 % de part de marché. Les magasins bio détiendraient un peu moins de 30 %, les autres circuits faisant moins de 10 %.

Le paysage de la GMS est très diversifié, avec des acteurs luxembourgeois, belges, français et allemands, discounters notamment pour ces derniers. La filiale luxembourgeoise du groupe Louis Delhaize (qui n’a aucun lien avec le groupe Delhaize, propriétaire de l’enseigne de magasins Delhaize) possède plus de 50 magasins, auxquels il faut ajouter une trentaine de supermarchés aux enseignes Match et Smatch, qui lui appartiennent également. On trouve aussi Aldi, avec une douzaine de points de vente ; Lidl avec une dizaine ; le belge Colruyt avec quatre magasins ; Auchan avec deux hypermarchés, de même que Cora (groupe Delhaize). Concernant les acteurs luxembourgeois, outre la petite chaîne Alima, il y a surtout le groupe Cactus, qui possède une quinzaine de supermarchés, une douzaine de supérettes (Cactus Marché) et une trentaine d’épiceries de proximité (Shoppi) installées dans des stations services. Il faut aussi mentionner les sept épiceries (elles se présentent ainsi) Pall Center, qui mettent entre autres en avant leur indépendance et leur engagement pour l’équitable et l’environnement.

Cactus est un des leaders de la distribution alimentaire conventionnelle, entre autres avec ses épiceries Shoppi (photo Wikipedia).

Delhaize Bio propose du bio au Luxembourg depuis les années 1990, avec 1 300 références début 2018, dont environ 200 de provenance locale. Chez Cactus, à cette date, l’offre portait sur plus de 2 750 références bio, l’enseigne se vantant d’être un pionnier en la matière, ayant introduit les premiers produits dès 1974. La plupart de ces chaînes disposent bien entendu de leurs propres marques distributeurs bio, Match (et Smatch) vendant par ailleurs, comme en France, la marque allemande Alnatura.

Oikopolis, une organisation remarquable

Du côté du réseau spécialisé – moins d’une trentaine de magasins bio – le leader est la chaîne Naturata, qui estimait en 2018 avoir une part de marché d’environ 30 % de la consommation bio. Ces magasins font partie du groupe Oikopolis – une structure au concept sans doute unique en Europe – basé à Munsbach, section de la commune de Schuttrange, dans le canton de Luxembourg.

Son histoire remonte à 1988, avec la création de la coopérative des fermiers bio du Luxembourg (BIOG, pour Bio-Bauere-Genos-senschaft Lëtzebuerg), qui avait ouvert un premier point de vente en 1989, puis s’est ensuite développée pour devenir Oikipolis Participations SA. Cette société appartient aujourd’hui pour partie à BIOG, pour partie à la Fondation Oikopolis et pour partie à des actionnaires privés, à savoir les clients et les collaborateurs. Les magasins Naturata sont des filiales à 100 % du groupe, de même que le grossiste Biogros et la société Oikopolis Services (prestataire de services pour les autres entreprises du groupe).

Naturata S.àr.I, ce sont actuellement plus de 8 000 références et onze magasins (dont deux à la ferme), dont la surface va en moyenne de 300 à 600 m2, le magasin à la ferme biodynamique Kass-Haff de Rollingen-Mersch étant cependant plus petit, avec 200 m2. À ces magasins bio s’ajoutent, sur le site du siège à Schuttrange, une boutique Naturata Beauty & Culture (cosmétique naturelle, compléments alimentaires, produits pour la maison, textiles…) et un Naturata Bio-Restaurant & Café. Si l’enseigne porte ce nom Naturata, que l’on retrouve également sur des magasins en Allemagne (du sud, principalement), c’est que Naturata S.àr.l. est membre de l’association Naturata International e.V., fondée autour d’un transformateur de ce nom, né en 1976 pour soutenir les premiers magasins bio allemands qui se créaient alors, en leur fournissant des produits bio et biodynamiques de qualité. Biogros n’est pas que grossiste (avec sa propre flotte de camions d’ailleurs), mais est également conditionneur et transformateur. Biogros possède en effet son propre atelier de fabrication de produits de grande consommation ou pour la restauration collective, dont les ingrédients proviennent préférentiellement de la coopérative BIOG (les agriculteurs BIOG produisent principalement des céréales, du lait, de la viande, des œufs et des légumes de garde, tels que les pommes de terre et les carottes). Vendus sous la marque BIOG (300 références), ces produits sont également proposés à la GMS par Biogros.

Le groupe Oikopolis possède aussi des participations minoritaires plus ou moins importantes dans d’autres sociétés à finalité éco-sociale en phase avec les valeurs de la coopérative BIOG. Mais surtout, elle détient 95 % de la laiterie BIOG-Molkerei, fondée par les producteurs laitiers de la coopérative BIOG, qui transforme le lait cru des fermes BIOG en produits laitiers bio pour le marché luxembourgeois.

Les autres points de vente spécialisés

Naturata, bien que leader sur son créneau, n’est évidemment pas le seul acteur spécialisé. Il existe bien sûr d’autres magasins bio, la plupart indépendants, comme ALaViTA et ses deux boutiques à Junglister (canton de Grevenmacher, ouverte en 1999, avec 200 m2) et à Bonnevoie, un quartier de Luxembourg-Ville (depuis 1989, 250 m2) ou encore Nature Elements à Howald (canton de Luxembourg), sur une surface de 500 m2, Naturstiffchen à Luxembourg-Ville, Wilhelm Bio Buttek à Mamer (canton de Capellen), etc. Mais il faut surtout ici citer ici OUNI, la « première épicerie bio sans emballages au Luxembourg », à Luxembourg-Ville. OUNI est l’abréviation de « Organic Unpackaged Natural Ingredients » («ingrédients naturels et bio non emballés »), le mot signifiant par « sans » en luxembourgeois (cf, l’allemand ohne). Ce magasin, qui a ouvert en décembre 2016, est une structure coopérative, qui compte actuellement 1230 membres. À l’instar d’autres magasins de vrac, OUNI propose toute une série de produits pour lesquels les clients apportent leurs propres contenants. On peut également y acheter d’autres produits dans des bocaux ou bouteilles en verre consignés, comme le lait et le yaourt. Le succès étant au rendez-vous de ce superbe magasin, la coopérative a réussi une levée de fonds et a annoncé fin novembre 2019 qu’elle ouvrira un second point de vente en 2020 à Dudelange, la quatrième ville du pays.

Le magasin bio sans déchets OUNI, à Luxembourg-Ville (photo courtoisie OUNI).

L’enseigne française Naturalia possède par ailleurs deux magasins à Luxembourg-Ville. Si de son côté la chaîne de supermarchés bio belge Bio-Planet (qui appartient à Colruyt, avec une trentaine de magasins en Belgique) ne semble pas (encore) intéressée pour ouvrir des filiales au Luxembourg, les consommateurs luxembourgeois ont néanmoins la possibilité de commander sur le site de vente en ligne du groupe et de se faire livrer dans trois points d’enlèvement, en l’occurrence des magasins Colruyt (180 points de collecte en Belgique, magasins Colruyt ou Bio-Planet).

Comme partout, pour consommer bio au Luxembourg, on peut aussi bien entendu faire appel à de nombreux producteurs qui proposent des paniers de produits ou de repas bio, à se faire livrer à domicile ou au bureau : Le Chat Biotté, Les Paniers de Sandrine, la coopérative Terra, etc. Beaucoup de producteurs luxembourgeois vendent également leurs produits sur les marchés, principalement à Luxembourg-Ville mais pas uniquement. L’association des marchés luxembourgeois (Lëtzebuerger Maarteverband a.s.b.l.) diffuse sur son site web (www.maart.lu) les lieux et dates de ces marchés, sur lesquels on ne trouve par contre pas que du bio.

Bien que petit en valeur absolue, le marché bio luxembourgeois est donc prometteur, et il est probable que d’autres magasins (ou d’autres façons d’acheter bio) verront le jour à court terme.

Michel Knittel

Bio Linéaires n° 87 – Janvier / Février 2020

1) Ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural https:// ma.gouvernement.lu/fr

Photo by GukHwa Jang on Unsplash

Classés dans :


Articles récents dans la même catégorie

+

Inscrivez vous à notre newsletter

Vous acceptez de recevoir nos derniers articles par email
Vous affirmez avoir pris connaissance de notre Politique de confidentialité.