La distribution des produits naturels et bio en Norvège

14 décembre 2019

La Norvège est une nation à l’histoire très ancienne, mais politiquement jeune, puisqu’elle n’a pris son indépendance de la Suède qu’en 1905, ayant été auparavant liée pendant des siècles au Danemark. C’est un des pays les plus riches du monde, mais dans lequel l’agriculture et la consommation bio ne s’expriment pas aussi intensément que dans beaucoup d’autres pays européens.

Kiwi est la plus grande chaîne de GMS de Norvège sur le critère du nombre de magasins. Ici celui de Lerberg, commune d’Øvre Eiker, dans le comté de Buskerud, au sud du pays. Ouvert en août 2019, c’est le 6e magasin éco conçu de l’enseigne (image Kiwi Norge AS, Facebook).

Un pays prospère

Avec 5,3 Mio d’habitants et une superficie de 385 000 km2 (11 fois la Belgique !), la Norvège est un assez grand pays, mais avec une densité de population peu élevée (13,8 habitants au km2), 47 % du territoire étant couvert par les Alpes scandinaves. D’après le critère du PIB par habitant, avec 65 599 $ (données FMI 2018), la Norvège est le 10e pays le plus riche du monde, juste derrière la Suisse (68 095 $). Elle est classée n°1 mondial pour l’indice de développement humain (OH), établi par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur les trois critères du PIB par habitant, de l’espérance de vie à la naissance et du niveau d’éducation des enfants de 17 ans et plus. La Norvège ne fait pas partie de l’Union européenne, mais appartient, comme l’Islande, à l’Espace économique européen (EEE). La monnaie locale est la couronne norvégienne (NOR), qui vaut actuellement 0,10 €.

Des valeurs moyennes pour la Bio

En matière d’agriculture biologique, la Norvège ne fait pas partie, a priori, du « peloton de tête ». En effet, selon le dernier rapport annuel conjoint de la FiBL et de l’IFOAM, The World of Organic Agriculture, Statistics & Emerging Trends 2019, qui compile les chiffres arrêtés à l’année 2017, seuls 4,7 % de sa surface agricole utile (SAU) étaient cultivés en bio en 2017, contre respectivement 6,3 % et 6,4 % pour la France et 2017, cette et même 14,4 % pour la Suisse. Qui plus est, entre 2008 et 2017, cette part bio de la SAU avait diminué de 10 %, alors que dans le mËme temps elle avait augmenté de 32,7 % en Suisse, de 133,8 % en Belgique et de… 198,8 % en France !

Par contre, la Norvège faisait alors partie des pays européens avec la plus forte consommation individuelle de produits bio, avec 80 € par habitant et par an, certes très loin du « champion » suisse (288 €), mais ce qui la mettait en 9e position derrière la France (118 € en 2017), devant les Pays-Bas (71 €), les Belges consommant chacun en moyenne 56 € par an. Le rapport FiBL/IFOAM donnait un marché de détail norvégien total de 419 Mio € pour 2017 (+6,6 % vs. 2016), soit une part de marché (PDM) pour la consommation bio de 1,7 % en 2016 (non indiquée pour 2017). Pour la France, le marché de détail se montait à 7,9 Mrd € (PDM 4,4 %), à 2,4 Mrd € pour la Suisse (PDM 9 % ) et à 632 Mio € pour la Belgique (PDM 2,5 %). Ces 419 Mio € plaçaient la Norvège en 12e position, derrière la Belgique justement il n’y a actuellement pas encore d’estimation pour 2018.

L’eco-label norvégien Debio

On relèvera que la Norvège ne faisant donc pas partie de l’Union européenne, le logo bio européen de la « feuille verte étoilée » n’est pas utilisé par les opérateurs locaux. Néanmoins, le pays a adopté les exigences européennes pour sa propre certification. C’est l’organisation privée Debio, créée en 1986 qui a été désignée comme le seul organisme national de contrôle et de certification des produits biologiques par le Mattilsynet, l’autorité norvégienne de sécurité des aliments, dépendant du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Landbruks-og matdepartementet). La certification bio est attestée par l’éco-label (Ø-label) Debio.

Les ventes dons le circuit alimentaire conventionnel

Pour avoir un aperçu plus précis des chiffres de la distribution de détail, il faut se tourner vers le rapport 2018 publié en mars 2019 par le Landbruksdirektoratet, la Direction de l’Agriculture, également dépendante du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, rapport intitulé Produksjon og omsetning av okologiske landbruksvarer (« Production et vente de produits agricoles biologiques »).

En l’occurrence, ce rapport fait la distinction entre d’une part la distribution alimentaire conventionnelle (Dagligvarehandelen, soit « commerce d’épicerie »), pour laquelle la Direction dispose des chiffres les plus précis, et d’autre part les autres circuits, pour lesquels tous les chiffres ne sont pas disponibles.

En Norvège, les commerces alimentaires conventionnels peuvent êtres classés en trois catégories : les magasins à prix réduits (lavprisbutikker, PDM 66,5 % en 2018), comme Rema 1000 et Kiwi ; les magasins à gamme large (bredsortimentbutikker, PDM 26,7 %), hyper- et super-marchés comme Meny et Coop Mega ; et les magasins de proximité (naerbutikker, PDM 6,8%), comme Joker et Naerbutikken.

Ce circuit alimentaire conventionnel (3 840 points de vente à fin 2018) est très concurrentiel, dominé par trois grands groupes qui sont NorgesGruppen (43,2 % du CA en 2018) : magasins Kiwi (l’enseigne ayant le plus de points de vente), Meny, Spar, Jacob’s, Joker, Naerbutikken… ; Coop Norge (PDM 29,3 %) : hypermarchés Obs, supermarchés Coop Mega, magasins à bas prix Coop Prix, chaîne de proximité Marked, etc. ; Rema 1000 / Reitangruppen (PDM 23,7 %) : magasins Rema 1000 (enseigne n°1 en CA). À ces groupes d’envergure s’ajoute Bunnpris, qui possède environ 250 magasins à prix bas (3,7 % de PDM). Les autres magasins ne font que 0,1 % des ventes.

Il faut noter ici que la Norvège étant un des pays où la densité de magasins par habitant est la plus élevée, dont beaucoup de magasins de proximité, les Norvégiens se rendent dans les points de vente alimentaires 3 à 4 fois par semaine. D’où beaucoup d’achats certes plus fréquents mais aussi plus impulsifs et des valeurs de panier assez basses, ce qui influe les comportements d’achat et freine les commerce en ligne, qui a du mal à lutter contre les cinq magasins alimentaires que chaque foyer norvégien a en moyenne près de chez lui.

Dans ce circuit alimentaire conventionnel, les ventes d’aliments bio ont atteint en 2018 280 Mio € (+8 % vs. 2017), soit un peu mieux que la croissance 2017/2016 (+7,3 %). En incluant les produits non alimentaires, le CA de la bio dans ce circuit s’est élevé à 286 Mio €.

Le 1er trimestre 2019 a affiché une croissance de 1,9 % par rapport au 1er trimestre 2018 (chiffres intermédiaires du Landbruksdirektoratet publiés le 16 septembre 2019). C’est la plus faible augmentation depuis 8 ans. La consommation est généralement plus élevée au second semestre qu’au premier.

Avec 19,9 % des ventes bio, les légumes ont été une nouvelle fois le groupe de produits représentant le plus gros CA (4,2 % du total des ventes de légumes dans ce circuit), mais en légère baisse par rapport à 2017, suivi des produits laitiers dans les magasins conventionnels). Globalement, la part de marché du bio dans les ventes alimentaires de détail de ce circuit a été de 2 %, une part généralement très faible pour la plupart des groupes d’aliments, sauf à quelques exceptions près, comme les aliments bio pour bébés qui ont représenté plus de 37 % des ventes de ce type de produits ou encore, dans une moindre mesure, les œufs (9,5 %).

Évolution 2010-2019 des ventes de produits alimentaires bio en Mio €, avec différenciation par semestre (Source Landbruksdirektoratet d’après Nielsen).

En 2018, 60 % des ventes bio ont été faites dans les magasins à prix réduits qui ont fortement augmenté leur offre et dont la PDM croît régulièrement (45 % en 2012). La PDM des magasins de proximité au sein des ventes dans ce circuit conventionnel n’a été que de 2 %. Le seul groupe d’aliments qui n’est pas vendu majoritairement dans les magasins à prix réduits est celui de la viande et des produits à base de viande, vendus en 2018 à 69 % dans les magasins à large gamme, peut-être parce que ce sont des produits considérés comme plus spécifiques, moins présents dans les rayons des magasins à bas prix, et pour lesquels les écarts de prix entre qualité bio et qualité standard sont moins élevés. Néanmoins, en 2012, 86 % de la viande bio étaient vendus dans les magasins à large gamme, la baisse étant due à une offre qui croît néanmoins dans ceux à bas prix.

Les magasins spécialisés

Si les données pour le circuit alimentaire conventionnel sont précises, cela n’est malheureusement pas le cas pour les autres circuits où le bio est vendu. Il n’y a ainsi pas de CA disponible pour les magasins spécialisés (Spesialbutikker), terme sous lequel il faut comprendre les points de vente alimentaires indépendants proposant un choix assez important d’aliments bio, mais aussi des produits d’origine locale, sans emballage plastique, etc. Leur nombre exact n’est pas connu non plus.

La plupart de ces magasins sont assez petits, avec une existence aléatoire. Parmi les principaux, on peut citer les suivants pour les plus grandes villes du pays : à Oslo Mølleren Sylvia, Økohjertet, Rotter (trois magasins), Kolibri Kolonial, Ur Kraft+Kolonial ou Ekte Vare ; à Trondheim Etikken, Helios ou Rotvoll Landhandel ; à Bergen Reindyrka ou Râvarene (spécialisé dans le vrac)…

Ekkte Vare à Oslo, un magasin spécialisé avec un café, exemple typique des spesialbutikker norvégiens (image site Internet ektevaredagligvare.no, Facebook).

Sur son site, à la rubrique Økoguiden, l’association Økologisk Norge -qui oeuvre à la promotion de la Bio dans le pays – en liste un certain nombre, classés par région, mais mélangés à des cafés, restaurants, boulangeries, boucheries, fermes productrices… preuve que le réseau est assez peu structuré.

Pour estimer l’évolution de leur influence, la Direction de l’Agriculture a obtenu les chiffres des magasins spécialisés situés à Oslo, Bergen et Stavanger (la 4e ville norvégienne la plus grande) : leur CA bio total été de 3,82 Mio € en 2018, représentant une baisse de 9,1 % par rapport à 2017. La concurrence croissante des magasins alimentaires conventionnels qui offrent dans la plupart des cas des produits similaires à ceux du réseau spécialisé, mais à des prix inférieurs – est une raison majeure de cette baisse.

À côté de ces spesialbutikker, il faut aussi souligner l’existence de quelques centaines de helsekostbuttiker (magasins d’aliments naturels, équivalent mot-à-mot des health food stores anglo-saxons). Ils vendent principalement des compléments alimentaires, des produits diététiques et pour sportifs, de la cosmétique (plus ou moins) naturelle et un peu d’alimentation bio. 3 enseignes représentent à elles seules la plus grosse partie de ce canal : Life (104 magasins actuellement), Sunkost (103) et H-Naturkost (un peu moins de 60).

Sur le créneau du bien-être pur (compléments et cosmétique…) on peut aussi citer ici, sans que cela soit vraiment des helsekostbuttiker, la chaîne Vita, spécialisée dans la cosmétique (mais tenant plus de la parfumerie conventionnelle) et proposant également des compléments alimentaires. Vita possédait 216 magasins en janvier dernier, mais sa stratégie a été revue courant 2019 et de nombreux magasins ont été fermés. Toujours sur le créneau du complément et de la (dermo)cosmétique, la firme britannique Boots exploite 156 pharmacies à son enseigne.

Concernant les ventes d’aliments bio dans ces helsekostbuttiker en 2018, la Direction de l’Agriculture ne disposait pas de données « satisfaisantes », même sur ce qui a été réalisé dans les trois principales chaînes, chez qui l’offre bio varie énormément d’une chaîne voire d’un magasin à l’autre. Elle avait par contre eu les années précédentes quelques informations, avec un CA moyen par magasin en alimentation bio de 80 000 €, quasi inchangé depuis 2014, alors que le marché croît.

Les ventes directes

Les ventes bio en direct des fermes jouent un rôle croissant en Norvège. Ces dernières années, « l’agriculture coopérative » (Andelslandbruk) a notamment connu une forte croissance. Son principe est de créer une coopération à long terme entre les producteurs et les consommateurs. Ces derniers deviennent copropriétaires de la ferme et achètent une part d’une production spécifique, généralement pour un an. Actuellement, les coopératives norvégiennes proposent des légumes, plantes culinaires et fruits rouges. Le Département de l’Agriculture en dénombre 72 pour 2018 : 60 % sont certifiées par Debio mais presque toutes travaillent de façon écologique, sans utilisation de pesticides ni d’engrais synthétiques. Celles certifiées ont réalisé un CA de 1,05 Mio € en 2018 (+17 % vs. 2017).

Autre canal de relation directe entre producteurs et consommateurs qui prend de l’importance : les REKOringer (« cercles REKO »), nés en Finlande en 2013 et apparus en Norvège en 2017, pour lesquels la Direction de l’agriculture ne dispose cependant pas de chiffres de vente. REKO est l’abréviation de Rejäl konsumtion signifiant « consommation réelle », dans le sens de « consommation sincère, équitable ». Ils sont directement inspirés du concept de la Community Supported Agriculture, correspondant aux AMAP françaises (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). En 2018, 37 REKOringer fonctionnaient dans le pays, permettant à 400 producteurs d’approvisionner des consommateurs de leurs environs immédiats.

Les marchés fermiers citadins (bondens marked) sont par contre en baisse : sur les 6,66 Mio € de produits alimentaires vendus via ce circuit – en baisse de 6 % vs. 2017 – 940 000 € ont été faits en bio (-3,1 % vs. 2017). Concernant les abonnements à des paniers bio, comme il n’y a que 2 acteurs (contre 5 en 2006), la Direction de l’Agriculture ne tient pas compte de leurs chiffres, les considérant comme statistiquement non représentatifs.

Les autres circuits

Pour terminer, citons aussi les autres canaux pour lesquels la Direction de l’Agriculture possède des chiffres. Avec un total de 26,1 Mio € en 2018, le CA bio du storhusholdning (grossistes livrant les professionnels : hôtels, restaurants, cafés, cantines, institutions, etc.) a augmenté de 3 % vs. 2017. Parmi les acteurs importants figurent Tine et Bama. La croissance de ce créneau est constante depuis plusieurs années. Les ventes bio en boulangerie (18,9 Mio €) ont quant à elle augmenté de 1,1 % par rapport à 2017.

Pour le circuit des marchés couverts (matthaller, incluant de la restauration), la Direction de l’Agriculture n’a pas de données précises, ni pour les ventes en ligne. On notera que ces dernières ne rencontrent pas vraiment le succès, pour les raisons d’habitudes d’achat de proximité évoquées plus haut, deux acteurs importants et réputés, 123.levert et Marked.no ayant même dû cesser leur activité, respectivement en 2017 et 2018.

Merci à Alexandra Forbord et Kari Hustad du Landbruksdirektoratet

Michel Knittel
Bio Linéaires n° 86 – Novembre / Décembre 2019

Photo by Mikita Karasiou on Unsplash

53

Classés dans :


Articles récents dans la même catégorie

+

Inscrivez vous à notre newsletter

Vous acceptez de recevoir nos derniers articles par email
Vous affirmez avoir pris connaissance de notre Politique de confidentialité.