Tribune libre de Nicolas Bouzou sur l'agriculture

28 avril 2016

Dans son édition du 19 avril, l’Humanité me fait l’honneur de me consacrer un article (« L’économie agricole expliquée aux « bouseux » par Monsieur Bouzou », on appréciera le jeu de mots méprisant pour les paysans) au vitriol, me reprochant entre autres d’être intervenu aux 70 ans de la FNSEA, de citer la destruction-créatrice de Schumpeter, de voir dans l’agriculture française l’incarnation de la modernité (modernité que l’auteur de l’article semble détester) et de faire peu de cas des problématiques de développement durable. Répondre à ces critiques sur un site consacré à la transformation et à la consommation de produit alimentaires biologiques n’est pas une provocation, bien au contraire, mais l’occasion de rappeler que la France doit redevenir un pays d’agriculteurs-entrepreneurs, ce qui est déjà le cas dans le domaine du bio.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’agriculture française a fait l’objet d’un mouvement contradictoire. D’une part, la réglementation, en provenance de Bruxelles mais aussi liée à la transposition zélée des directives européennes, s’est avérée de plus en plus serrée, à tel point que tous les agriculteurs que j’ai pu rencontrer ces dernières années se plaignent de la suradministration de leur secteur, comme du poids des charges (le Gouvernement Valls a parfaitement conscience de ce dernier point comme en témoignent des mesures récentes). D’autre part, le secteur agricole s’est considérablement modernisé pour réaliser davantage de gains de productivités (il y a de plus en plus de bouches à nourrir en France et dans le monde) et des achats toujours plus sophistiqués, des semences aux matériels (drones, tracteurs autonomes…). Mais clairement, le secteur manque de latitude réglementaire et de marges financières pour aller aussi loin qu’il le faudrait. L’agriculture française d’aujourd’hui fait penser à l’économie de la fin de l’ancien-régime : un désir de révolution industrielle mais des contraintes et des charges qui empêchent d’investir et de progresser autant que nécessaire. On dira de ce secteur qu’il est artificiellement « réprimé ».

Quel rapport avec le bio ? Déjà, j’ai évoqué la nécessité d’augmenter la productivité. Or la productivité recouvre deux notions. Il peut s’agir de produire plus avec autant voire moins d’intrants. Mais il peut s’agir aussi de produire mieux, c’est-à-dire davantage de valeur ajoutée, avec moins d’intrants, et des intrants qui ne dégradent pas l’écosystème. Cette deuxième conception, tout aussi légitime que la première, relève du bio. Elle ne s’intègre pas dans une volonté de « décroissance » mais de « croissance à plus forte valeur ajoutée ». Formidable, c’est pile ce dont l’économie française a besoin ! Ensuite, s’il est un segment entrepreneurial et schumpétérien dans le domaine de l’agriculture, c’est bien celui de la production et de la transformation bio. Nous l’avons touché du doigt l’année dernière avec l’équipe d’Asterès quand nous avons, pour le compte de Natexbio, réalisé la première étude portant sur la transformation bio en France : croissance du chiffre d’affaires à deux chiffres, concentration des acteurs existants mais abondance de nouveaux entrants, exportations : le bio participe pleinement à l’évolution schumpétérienne de l’agriculture en France. Au profit du qui ? Du consommateur bien sûr. Nous sommes tellement imprégnés de notre conception dirigiste de l’économie que, à l’image de l’Humanité, nous ne savons plus faire autrement que raisonner en silos et opposer les modèles : FNSEA contre bio. Mais non ! Que le consommateur choisisse, en toutes connaissances de causes (c’est la question cruciale de l’information au consommateur et de la traçabilité), et que plusieurs formes d’agricultures coexistent ! Et si l’Etat peut lever les contraintes et continuer d’alléger les charges, c’est bon pour tout le monde !

Nicolas Bouzou


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