Entretien avec Stéphanie Pageot – présidente de la FNAB

5 décembre 2013

Stéphanie Pageot, Présidente de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) depuis 2013 nous présente l’évolution de l’agriculture biologique en France, ses enjeux économiques et écologiques.

Natexbio : Pouvez-vous nous présenter la FNAB ? La surface agricole biologique en France ?

Stéphanie Pageot : La FNAB est une organisation professionnelle à vocation syndicale, non lucrative, qui regroupe les groupements régionaux de la bio en France (GRAB), lesquels regroupent les groupements départementaux (GAB) dont font partie les 10 000 paysan bio membres. Nous agissons donc à tous les niveaux de territoires au service du développement de la bio dans ce pays. Les paysans bio membres de la FNAB souhaitent un développement équitable, solidaire et durable de la bio, au service notamment de biens communs comme la santé, l’environnement, l’emploi dans le monde rural etc. Nous sommes à près de 4% de la SAU en bio en France avec de grandes disparités selon les zones régionales, de moins de 1% dans les régions de grandes cultures à +10% dans des régions du grand sud.

Natexbio : Qui sont les adhérents FNAB ?

Stéphanie Pageot : Les adhérents de la FNAB sont des paysannes et paysans bio de toute obédience syndicale et politique, réunis par leur métier d’agrobiologiste et leur affinité pour un projet de développement de la bio par et pour les savoirs paysans. Ils veulent avant tout être producteurs d’aliments de qualité pour leurs concitoyens, au plus près des territoires.

Ils sont convaincus, pour l’avoir vécu depuis des dizaines d’années, que la bio est par nature synonyme d’observation paysanne et de partage de savoirs et non de prescriptions venus du conseil ou de la vente. Ils sont persuadés qu’il convient également de maitriser la structuration des filières amont, qu’elles soient longues, courtes ou de proximité, car l’histoire de ces 50 dernières années est celle de la dépossession de la valeur ajoutée de l’agriculture conventionnelle par l’aval, et particulièrement la grande distribution. Il nous faut réinventer des filières plus équitables entre toutes les parties, ce qu’on bien compris les acteurs de l’aval des filières historiques bio.

Natexbio : La Commission européenne a prévu de réviser en 2014 le cadre juridique et politique du règlement européen relatif à la production biologique. Qu’attendez-vous de cette révision de la règlementation de 2007 ?

Stéphanie Pageot : Nous attendons, comme le souhaite lui-même Dacian Ciolos, le commissaire européen, que la bio se développe en étant fidèle à ses fondamentaux et à ses ambitions pour la transformation de notre système agro-alimentaire. Cette exigence et ces ambitions sont précisément ce qu’attendent les consommateurs de la bio pour continuer à lui faire confiance. Nous nous sommes donc positionnés pour le scénario numéro 3 dit « principles driven », tout en sachant qu’il faudra négocier le régime de certaines dérogations qui se justifient par la diversité des territoires et des cultures nationales en Europe. Certains principes par contre sont définitifs comme le lien au sol et l’absence de serres chauffées ou l’introduction de produits de synthèse même « environemental friendly ». On attend surtout que le nouveau plan européen de la bio saura donner des moyens à la recherche en Europe et aux échanges paysans entre pays de l’Est et pays de l’Ouest, c’est ce que nous avons souhaité avec la signature d’une récente charte en Roumanie.

Natexbio : A ce propos, comment avez-vous accueilli le programme national « Ambition Bio 2017 ?

Stéphanie Pageot : Forcément positivement puisque nous l’avions proposé à Stéphane Le Foll en novembre 2011 avec notre campagne « osons la bio ». Un programme de mandature s’imposait pour aller au bout d’une dynamique sociétale comme la bio. Maintenant, si les intitulés du programme sont bien au rendez-vous et ont été construit dans un consensus politique inédit, tout le monde s’accorde à dire que ce programme reste pour le moment sous financé dans ses capacités d’animation interne à l’administration (nationale, interministérielle et déconcentrée) et ses capacités d’animation externe via les réseaux de développement. Ainsi, les « crédits d’animation bio » restent constants entre 2013 et 2014, le ministre de l’agriculture venant de refuser un amendement parlementaire proposant le triplement de ces crédits. Or, nous le savons, le saut technologique et culturel qu’il faut franchir pour réussir les 6 axes du Programme passe par beaucoup plus d’animation sur le terrain. Cela pose franchement la question de la crédibilité de l’action publique dans notre pays sur une thématique d’avenir, exemplaire de la transition écologique de l’économie clamée par tous les gouvernements depuis le Grenelle. Résultat, nous ne sommes qu’à 4% des surfaces contre 6% d’objectif du Grenelle en 2012.

De plus, l’INRA (l’Institut National de la Recherche Agronomique) dépense moins de 1% de son budget pour la bio. Où est la performance environnementale de l’agriculture conventionnelle avec plus de 99% du budget de la recherche française et ce depuis des dizaines d’années ? Il est temps d’avoir le courage politique de prendre des crédits du conventionnel pour financer la transition écologique de l’agriculture avec la bio comme moteur. Tout le monde y gagnera, surtout les agriculteurs, entreprises et salariés des filières agro-alimentaires à qui on ne propose aucune solution d’avenir. Nous le disons depuis longtemps, Osons la bio !

Natexbio : L’agriculture conventionnelle française est très dépendante des Fonds agricoles européens. Est-ce le même cas pour l’agriculture biologique ?  Quelle est la position de la FNAB par rapport à la PAC (Politique agricole commune) ?

Stéphanie Pageot : L’agriculture biologique perçoit aussi des aides européennes, mais le niveau de dépendance vis-à-vis de celles-ci est moindre que pour l’agriculture conventionnelle. Historiquement, un système de production est d’autant plus dépendant des soutiens publics que son niveau d’intensification par rapport au sol est plus élevé.

Nous attendions de la réforme de la PAC qu’elle change cette logique en privilégiant les systèmes de production les plus respectueux de l’environnement, parmi lesquels on trouve bien entendu l’agriculture biologique. Le nouveau cadre ne répond pas à cette attente car il ne marque pas la rupture que nous estimions nécessaire par rapport à l’ancienne logique. On ne peut nier toutefois qu’il y a eu des avancées puisque l’on se dirige lentement  vers la fin des références historiques et que les crédits alloués au développement rural (2ème pilier) seront légèrement augmentés. Mais le signal politique adressé aux agriculteurs n’est pas suffisamment clair. La peur de déstabiliser les intérêts des filières conventionnelles a prévalu. Or cela aurait été nécessaire pour engager la mutation de l’agriculture.

Natexbio : En octobre dernier, l’Union Européenne et le Canada ont conclu un accord de libre-échange ? Est-ce une bonne nouvelle pour l’agriculture bio ?

Stéphanie Pageot : C’est difficile à dire. Qui  a-t-il derrière ces accords de libre échange ? on entretient des échanges mondialisés qui bénéficieront certainement aux multinationales mais rarement aux producteurs et aux consommateurs.

En bio, on privilégie les échanges de proximité et l’approvisionnement local.

Bien sûr, on pourrait augmenter les échanges en fromages au lait cru et vins bio, produits qui sont inexistants au Canada mais il est légitime que le Canada veuille nous vendre des productions en échange et c’est là que cela coince, car il va vouloir nous vendre de la viande…Or nous n’avons pas besoin de viande en France.

Natexbio : Le 9 novembre, des politiques, des scientifiques et des responsables associatifs ont lancé un appel aux autorités politiques à agir pour la réduction, voire la suppression de l’usage des pesticides responsables selon le Commissariat général au développement durable de la pollution de 90% des cours d’eau en France. L’agriculture bio permettra-t-elle de reconquérir la qualité de l’eau ? 

Stéphanie Pageot : Clairement oui et oui. Nous le prouvons avec nos sites pilotes et les partenariats d’études. Le préventif coûte jusqu’à 87 fois moins cher que le curatif ! Sachant que le CGDD (Commissariat Général au Développement Durable) a chiffré à 522 milliard d’euros le coût de la dépollution des eaux, imaginez le gain pour les finances publiques ! Comment peut-on aujourd’hui sérieusement expliquer que nous n’appliquerons pas la directive cadre européenne sur la qualité de l’eau qui protège la population au nom d’intérêts socio-économiques ? Tout simplement en mentant au Français sur les liens avérés entre pesticides et santé humaine. Pourquoi cela me direz-vous ? Parce que l’économie du curatif permettrait de générer des points de PIB en industrie de la dépollution, en frais de santé, etc. Voilà où nous en sommes même si des élus locaux se sont saisi du problème et ont pris les dispositions nécessaires, leur courage et leur responsabilité sont exemplaires. Nous avons proposé l’interdiction des produits phyto sanitaires sur les zones de captage prioritaires, nous ne voulons pas imposer la bio mais cette crise sanitaire doit cesser et les agriculteurs doivent être aidés dans le cadre de structuration de filière locale. Ainsi, comme le propose Marc Dufumier, la PAC aurait pu servir à financer les services environnementaux dans le cadre d’une large commande publique dans la restauration publique. Les solutions existent, elles soulagent même de la pression fiscale si lourde aujourd’hui. Alors il est temps d’agir !

Natexbio : Comment expliquez-vous le succès du Bio ? Est-il le fruit du travail de fond des professionnels du secteur, de l’intérêt des consommateurs ou bien d’une volonté politique ?

Stéphanie Pageot : Evidemment il est le produit de tous les efforts cumulés. Il faut noter le travail spécifique de l’agence bio qui a été créée notamment à la demande de la FNAB il y a quelques années. Nous sommes plus circonspects sur l’effort des interprofessions conventionnelles qui pourtant recueillent les contributions volontaires obligatoires (sic) des paysans bio et qui ne renvoient pas assez de moyens justement pour des communications et actions distinctives pour la bio. Il faut que les choses changent.

Natexbio : Les professionnels des produits bio sont aussi des ambassadeurs du bien-être. Quelle est la formule gagnante de votre hygiène de vie ? Avez-vous un conseil à donner à nos lecteurs ?

Stéphanie Pageot : Etre heureux et fier de son métier joue effectivement beaucoup sur notre bien être en tant que paysans bio !

Travailler en ce disant que notre action préservera la santé de nos enfants et leur héritage environnemental comme la qualité du sol et l’eau, la biodiversité nous donne une grande fierté. Cela nous donne la force de continuer malgré les adversités, les injustices et les lobby très important de l’agrochimie et de la finance internationale.

Quand on regarde les résultats de l’étude nutrinet-santé qui viennent de paraitre, on s’aperçoit que les consommateurs bio ont un régime alimentaire plus diversifié et modifié, ils ont une hygiène de vie différente aussi.

Ce meilleur niveau de santé n’est pas corrélé avec le niveau économique mais il l’est avec le niveau de diplôme. Se soucier de ce que l’on mange ne semble pas être forcément en lien avec ses moyens financiers mais avec le souci de soi, le respect de son corps et de son environnement.  C’est un sujet complexe et intéressant.

Cela nous montre que chacun à son niveau peut  agir pour reprendre la main ses conditions de vie et de bonheur sans attendre des autres. La convivialité de la table, la découverte des produits locaux et bio, le plaisir de cuisiner ensemble, la consommation réfléchie et non subie … autant de facteurs qui donne un sens sincère à notre vie et donc joue sur notre bien être.

Il faut maintenant le faire partager au plus grand nombre, producteurs comme consommateurs.

Propos recueillis par Natexbio

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