Tribune de Patrick Sivardière, consultant pour les filières Bio

21 février 2022
Patrick SIVARDIÈRE, consultant pour les filières Bio. 

Le développement de la Bio s’ajuste mais n’est pas terminé

La Bio a passé en 2020 le seuil de 6 % de part de marché des produits alimentaires, et 2021 apparait comme une année de consolidation. Les acteurs de la filière bio s’étaient habitués à une croissance annuelle à 2 chiffres et après une année 2020 globalement favorisée par la situation liée à la Covid, les ventes de produits bio stagnent, voir régressent dans certains circuits de distribution. Immédiatement certains parlent d’une « chute historique » du bio. En fait, cela montre de nouveau que ni la réglementation bio, ni la certification ne sont des outils de gestion des marchés : la bio n’a aucune raison d’échapper aux fluctuations connues dans tous les autres secteurs alimentaires et économiques.

Cet ajustement a probablement de nombreuses causes : la concurrence avec d’autres démarches moins contraignantes du type HVE ou zéro résidus, l’arrivée des produits des nombreuses conversions de 2018 et 2019, une meilleure mise en valeur du « local » (un terme assez vague). Le prix dit « exorbitant » des produits bio est souvent mis en avant pour expliquer cette crise de croissance du marché. Mais si 10 à 15 % de la population font (malheureusement) de l’alimentation leur variable d’ajustement, une autre partie a fortement épargné depuis 2 ans, près de 200 milliards d’euros, selon les chiffres de la Banque de France. L’INSEE estime que le taux d’épargne redescendra à 16 % du revenu brut à la fin du premier semestre 2022, soit 1 point de plus que son niveau traditionnel. Cela montre que la baisse de la consommation bio n’est pas qu’une histoire de prix ou de pouvoir d’achat des français. Et cette focalisation sur le prix omet au moins 3 éléments.

Le premier est la sensibilisation, l’information voire la formation à l’alimentation durable qui restent très limitées dans notre pays, en particulier envers les lycéens, étudiants et jeunes adultes qui apprennent à gérer leur budget et à cuisiner. La Bio, qui a un objectif global de changement de société, ne peut se passer de réelles actions dans ce sens. Sans culpabilisation, et face à des sujets qui préoccupent les citoyens (biodiversité, bien-être animal, santé), la bio présente des atouts qu’il faut faire mieux connaitre et reconnaitre.

Par ailleurs, le premier considérant du règlement (UE) n°2018/848 rappelle le « double rôle sociétal » de la production biologique : « d’une part, elle approvisionne un marché spécifique répondant à la demande émanant des consommateurs et d’autre part, elle fournit des biens accessibles au public qui contribuent à la protection de l’environnement et du bien être animal ainsi qu’au développement rural ». Le fait que le consommateur bio doive aujourd’hui financer ce double rôle peut questionner. A cet égard, l’Etat Français, qui s’est désengagé à partir de 2018 de « l’aide au maintien » apportée aux producteurs, a certainement sa part de responsabilité alors que l’agriculture conventionnelle reste fortement subventionnée. En moyenne, les aides directes représentent 74 % du résultat courant avant impôt des exploitations (bio et non-bio) en 2019 en France, avec de grandes disparités.

Enfin, malgré le changement de cadre réglementaire au 1er janvier 2022 avec l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2018/848, les exigences bio ont peu évolué. Ce changement se réalise sans difficulté majeure. Mais la règlementation n’aborde toujours pas l’utilisation du plastique et des emballages, la gestion de l’eau et de l’énergie, le transport par avion des produits, et encore moins des critères sociaux. Or la demande des consommateurs s’est élargie depuis 10 ans.

La certification Bio reste une bonne base pour valoriser un mode de production respectueux de l’environnement et du bien-être animal, et les démarches complémentaires au bio (bilan carbone, marque employeur, responsabilité sociétale, etc.) permettront aux acteurs convaincus de passer le cap actuel. Le prix des produits bio est donc un sujet pour la filière mais l’unique réponse n’est certainement pas de baisser systématiquement un prix de vente qui sera toujours trop cher pour certains. La Bio est inscrite depuis 40 ans dans une tendance de fond que la consolidation actuelle du marché ne saurait faire oublier face à l’urgence écologique.


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