Entretien avec Stéphanie Pageot de la FNAB

26 avril 2016

Stéphanie Pageot dont le mandat de présidente a été renouvelé le 4 avril dernier lors de la dernière Assemblée Générale de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) nous expose les projets de la FNAB et l’évolution de l’agriculture Bio en France et en Europe.

Natexbio : L’Assemblée Générale de la FNAB s’est tenue les 4 et 5 avril 2016 dans un contexte économique particulièrement favorable. Qu’en est-il de la surface agricole biologique en France en 2016 ? Quels sont les chiffres clés de l’agriculture biologique ?

Stéphanie Pageot: Selon l’agence bio, la surface agricole en bio en France fin 2015 est de 1.3 millions ha soit une augmentation de +17 % par rapport à 2014.

+ de 220 000 ha ont été convertis en 2015 et cette vague de conversion s’amplifie en 2016.

En ce début d’année, notre réseau a été contacté par de nombreux productrices et producteurs qui souhaitent se convertir à l’agriculture biologique ; les sollicitations sont environ 3 fois plus importantes qu’en 2015.

Natexbio : Aujourd’hui, au sein de l’Union Européenne quelle est la place de la France en termes de surfaces certifiées et en conversion bio ? Quels sont les pays européens les plus avancés en la matière ?

Stéphanie Pageot: La France est 3ème en terme de surface agricole en bio (nombre d’ha) derrière l’Italie et l’Espagne mais si on ramène cela au pourcentage de sa surface agricole totale, elle est en dessus de la moyenne européenne (5% de la SAU contre 6 % pour la moyenne européenne)

Les Pays les plus avancés sont l’Autriche (20% de la SAU), la Suède (15%), l’Estonie, la République Tchèque (11 %…

Natexbio : La dynamique des conversions à l’agriculture et à l’élevage bio touche de nouveaux profils urbains sans ancrage familial agricole. Quelle est l’ampleur de ce phénomène et la part de ces « néo-paysans » au sein de la FNAB ?

Stéphanie Pageot: Il y a effectivement beaucoup de néo-paysans qui souhaitent s’installer en agriculture ; ils représentent aujourd’hui 30 % des installations et ils souhaitent quasiment tous se convertir à l’agriculture biologique parce qu’ils sont beaucoup plus sensibles au projet de société qu’incarne le mouvement bio aujourd’hui

Natexbio : De quels moyens disposez-vous pour accompagner les agriculteurs conventionnels dans leur reconversion à l’agriculture biologique. Etes-vous en capacité de répondre à toutes les demandes ?

Le ministère de l’agriculture a conforté en 2014 nos moyens d’accompagnement des producteurs au travers les fonds du développement agricole (appelé CASDAR). Notre réseau des Groupements départementaux (GAB) et régionaux (GRAB) reçoit également des subventions des régions et des départements.

Mais au regard de la vague de conversions arrivant en 2016, nos moyens humains ne seront pas suffisants.

Il nous faudra des moyens financiers supplémentaires pour embaucher.

Hors la nouvelle gouvernance  politique de certaines régions ne semblent pas aller dans l’augmentation des soutiens mais plutôt dans la remise en cause des moyens existants…

Natexbio : Le ministère de l’Agriculture propose que les régions plafonnent leurs aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique. La bio serait-elle victime de son succès ? Comment réagissez-vous à ces propos ?

Stéphanie Pageot: Nous avons été les premiers a alerter le ministère sur les insuffisances budgétaires pour les aides conversion et maintien.

L’Etat et les régions ont sous-estimés les conversions à venir et n’ont pas prévu suffisamment de budget. Il faut faire des arbitrages politiques qui permettent d’accompagner toutes les conversions.

Pour les aides au maintien, elles doivent être accessibles pour tous les producteurs bio parce qu’elles rémunèrent les services environnementaux et sociaux rendus par la bio.

Nous avons toujours été favorables à une réflexion sur la dégressivité des aides pour tenir compte de la taille des fermes et de la main d’œuvre sur les fermes.

Maintenant les règles adoptées pour éventuellement plafonner les aides bio doivent être les mêmes que pour les aides proposées aux autres producteurs : il faut une cohérence globale des aides agroenvironnementales et climatiques pour qu’elles incitent réellement les agriculteurs conventionnels à changer de système, la bio étant le système le plus abouti de l’agro écologie, il doit être le mieux rémunéré ; ce qui n’est pas le cas dans certaines régions.

Natexbio : Le programme ‘Ambition Bio 2017‘  a fixé des objectifs clairs : doubler la part du bio entre 2012 et 2017 en passant de 4 à 8 % de la SAU et atteindre 20% de Bio en restauration collective d’Etat. Quels sont les moyens dont vous disposez pour atteindre ces objectifs ?

Stéphanie Pageot: Comme je l’ai expliqué précédemment, nous avons des moyens du développement agricole pour accompagner les productrices et producteurs pour améliorer leurs performances techniques et économiques.

Pour atteindre les 20 % dans la restauration collective d’état, il manque d’une véritable coordination interministérielle pour faire avancer les choses. De même il faudrait que chaque préfet réunisse tous les acteurs publics pour les mettre en mouvement.

De notre côté, nous essayons d’animer les acteurs des territoires sur cette thématique et de faire du lien avec les plateformes commerciales de producteurs bio (Manger bio 44, 35…etc)  pour mettre de la bio locale dans la restauration collective.

Natexbio : La grande distribution a été la grande absente de l’Assemblée Générale. Et pourtant au mois de mars l’enseigne Carrefour a affirmé vouloir «démocratiser le bio, dans une approche plus ouverte, moins militante que les spécialistes »[1]. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Stéphanie Pageot: Vouloir démocratiser La Bio a toujours été notre souhait puisqu’elle doit devenir l’agriculture de demain, avec des valeurs fortes de cohérence, d’exigence, de solidarité et d’équitabilité des producteurs aux consommateurs.

Vouloir démocratiser Le bio est une approche purement commerciale (on ne s’intéresse qu’au produit) qui n’aura pas d’avenir puisqu’elle recréera ce qui s’est passé en conventionnel -> la recherche du prix le plus bas, sans tenir compte des conditions de production et de transformation des produits.

Natexbio : Selon Brooks Wallin de la fédération Natexbio,  «On va vers une bio à deux vitesses. D’un côté, la bio avec des matières premières françaises et le souci des emballages biodégradables. De l’autre, la bio commerciale où le prix domine et la provenance des matières compte moins.»[2] Partagez-vous cette vision du marché de la bio ? Comment le consommateur peut-il s’y retrouver ?

Stéphanie Pageot: Le risque est réel mais nous devons tout faire pour l’éviter, notamment au travers de partenariats plus serrés entre producteurs-transformateurs et distributeurs sur des projets de territoires. Beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui très attentives à leur image et notamment leur Responsabilité Sociale et Environnementale et elles savent que l’origine des produits est importante pour les consommatrices-eurs bio.

En filière laitière bio par exemple, l’origine française du lait est affichée depuis quelques années déjà alors même qu’il y avait du lait bio disponible en EU.

Natexbio : Le 5 avril, vous avez fait adopter une Charte des valeurs de la FNAB et de son réseau avec pour objectif de replacer l’humain au sein du système alimentaire. Pouvez-vous nous présenter cette charte ?

Stéphanie Pageot: Cette charte réaffirme le projet sociétal portée par les productrices et producteurs bio adhérents à la FNAB.

Au-delà d’un cahier des charges bio cohérent et exigeant, basé sur les fondamentaux de l’agro-écologie, nous souhaitons développer une économie équitable et relocalisée, adaptée à chaque territoire.

Dans notre démarche de progrès permanente nous devrons œuvrer à construire une société plus humaine et plus solidaire, en France mais aussi partout dans le monde. Cela passe par des modes de production et de consommation qui n’impactent pas négativement les populations des autres pays. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine.

Natexbio : Lors de votre allocution, vous avez affirmé la nécessité de donner, je cite, «  de nouvelles perspectives aux agriculteurs et agricultrices » en redonnant « du sens à leur métier ». Pouvez-vous développer votre idée ?

Stéphanie Pageot: Aujourd’hui il existe une crise structurelle très profonde en agriculture conventionnelle ; les agricultrices et agriculteurs sont dans des situations parfois désespérées et personne ne leur donne de solutions ou perspectives encourageantes.

En bio, nous vivons correctement de notre métier et répondons aux attentes de nos concitoyens ; nous travaillons pour les générations futures, pour leur laisser un sol en santé, de l’air non polluée, de l’eau potable, une biodiversité plus grande, etc.. C’est absolument passionnant et motivant. C’est cela pour nous, le sens du métier de paysan, le sens de travailler avec la vie et pas contre elle..

Natexbio : Par ailleurs vous avez évoqué la fierté « de produire des aliments de haute qualité sans pesticides et sans engrais chimique de synthèse » « de préserver le sol pour les générations futures » « de préserver leur santé et celle de leur concitoyen » Est-ce que les représentants du ministre de l’agriculture et du président  de la République qui ont assisté à votre conclusion vous ont entendu ?

Stéphanie Pageot: Et bien je l’espère très sincèrement ; Je les sais sensibles au sujet mais je sais aussi que les lobbies agricoles et agro chimiques sont extrêmement puissants en France.

En tous les cas j’ai été invitée à l’ouverture de la conférence environnementale à l’Elysée, le lundi 25 avril 2016 et le Président Hollande a affirmé sa volonté de faire de la France le 1er pays bio d’Europe, ce qui est très positif !

Propos recueillis par Natexbio

[1] Carrefour veut devenir un champion du 100% bio, Challenges, 16 mars 2016
[2] L’agriculture bio, «pas que pour les bobos», mais attention aux dérives, Libération, 8 avril 2016

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