Nutrition holistique et réductionniste : un mariage indispensable

29 juin 2016

Aujourd’hui la nutrition n’est plus au service de l’humain dans nos sociétés occidentalisées mais au service du profit dans un « cercle vicieux réductionniste » comme l’a très bien analysé et décrit T. Colin Campbell[1] dans son ouvrage « Whole: Rethinking the Science of Nutrition ». Pour dire les choses plus simplement on utilise les fractions de la réalité – donc les vérités partielles de la nutrition – pour vendre toujours plus. On fractionne les aliments, on est dans une recherche effrénée de la molécule miracle qui nous guérira de tous nos maux, et une fois qu’on croit l’avoir trouvé on l’isole et on l’incorpore en grandes quantités dans les aliments (à prix plus élevé bien sûr !) pour soi-disant « nous faire aller mieux ». Mais une vérité partielle ne pourra que donner un effet bénéfique partiel à court-terme, voire même des effets secondaires dangereux à plus long-terme. L’évidence scientifique montre d’ailleurs très clairement tous les risques qu’il y a à ingérer de fortes doses d’un seul nutriment[2]. C’est donc oublier la merveilleuse complexité des aliments dont le potentiel santé est le fruit de l’ensemble et de l’action en synergie à doses nutritionnelles des nutriments dans l’organisme. C’est aussi oublier le rôle de la matrice alimentaire dans la vitesse de libération des nutriments au sein de l’organisme et son effet sur le sentiment de satiété, des effets qui sont d’autant plus perturbés que l’aliment a été fractionné, recombiné et/ou hyper-transformé. Quand ces types d’aliments deviennent la base de notre alimentation, les maladies chroniques ne sont jamais loin ! Par exemple, une pomme entière est plus satiétogène et moins hyperglycémiante qu’une compote et une compote moins qu’un jus de pomme clarifié et raffiné ; et des carottes cuites entières sont plus satiétogènes que ces mêmes carottes en poudre et reconstituées. Dans ces exemples, c’est bien le degré de déstructuration, et donc le degré de transformation, qui est en jeu ; plus que la seule composition nutritionnelle… L’approche par nutriments a définitivement atteint ses limites !

Cela nous amène à la notion d’alimentation complexe à base de produits peu ou moyennement transformés, donc à une vision plus holistique de notre alimentation. Alors, évidemment cette approche intéresse moins les industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et médicales : en effet, si les consommateurs reviennent à une nutrition préventive basée sur des aliments plus naturels, alors on achètera moins de produits ultra-transformés, on cuisinera davantage chez nous et on sera moins malades. Revenir à un « cercle vertueux holistique » au service de l’humain est évidement beaucoup moins lucratif pour un système complètement enfermé dans une logique réductionniste.

Pour dire les choses autrement, tandis que l’approche réductionniste se focalise plutôt sur une nutrition curative pour corriger les effets d’une alimentation à la base déjà déséquilibrée et prend le risque de créer des problèmes encore pire après, l’approche holistique se focalise sur une nutrition préventive primaire très en amont pour corriger à la racine les causes de notre mauvaise alimentation. Il est triste de constater que même notre recherche en nutrition est prisonnière de ce « cercle vicieux réductionniste » et dogmatique, et même tout notre système jusqu’aux politiques de santé publique qui continuent à mettre l’accent sur des vérités partielles ou une approche essentiellement par nutriments. Même les régimes diététiques « minceur » qui nous sont vendus sont globalement tous basés sur l’approche réductionniste par nutriment alors que pour perdre du poids il faudrait revenir à une approche plus holistique de notre façon de consommer, en intégrant à la fois raison, plaisir, activités physiques, goût, traditions, sociabilité, etc. Par exemple, aux USA, dans les années 80 quand on a cru que les matières grasses consommées en excès étaient responsables des maladies cardiovasculaires, on a conseillé de consommer des régimes qualifiés de « low-fat ». Ces recommandations ont coïncidé avec une forte augmentation de la prévalence de l’obésité car le consommateur s’est mis à consommer plus de sucres raffinés pour compenser le moins de matières grasses. Avec une approche essentiellement réductionniste, c’est donc comme tirer sur un fil d’une pelote de laine emmêlée pour la démêler alors qu’en fait on accentue l’emmêlement à un autre endroit.

La nutrition humaine est en effet une science holistique par essence[3]. D’ailleurs, on devrait plutôt utiliser le terme « alimentation » qui inclut la dimension « aliments » en plus de l’aspect purement physiologique. En effet, la nutrition est une science à l’interface de la biologie, de la sociologie, de la technologie alimentaire, mais elle peut aussi inclure des dimensions religieuse, psychologique, économique, etc. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, surtout en occident, la nutrition a principalement été envisagée sous l’angle réductionniste[4]. En d’autres termes, on l’a réduite à l’étude des nutriments considérés de façon isolée et à leur devenir physiologique dans l’organisme humain sur la base d’une relation de cause à effet linéaire entre un nutriment et un effet physiologique : par exemple, calcium et métabolisme osseux, sucres et glycémie, fibres et transit digestif, etc.

Si cette approche réductionniste est utile pour comprendre et décortiquer certains mécanismes, elle trouve ses limites quand elle devient dogmatique et exclut toutes autres formes d’approche plus globale. Puisque la réalité est d’abord complexe, il faut d’abord la penser globalement ou holistiquement – pour utiliser le terme consacré -, et ensuite utiliser des approches plus réductionnistes quand cela est nécessaire pour élucider certains aspects de la question globale. Or aujourd’hui la recherche en nutrition commet deux erreurs : 1) on ne pense quasiment plus que réductionniste, et 2) on raisonne du réductionnisme vers l’holisme ; en d’autres termes, on généralise à partir du spécifique. Or il faudrait agir dans l’autre sens et redonner sa place à l’approche holistique. Cependant, les deux approches sont nécessaires et indissociables et elles se régénèrent mutuellement, les découvertes plus réductionnistes dynamisant la pensé plus globale. Et l’approche réductionniste doit absolument s’inscrire dans une pensée qui aura été d’abord holistique, donc dans un cadre global murement réfléchi.

Mais comment faire pour revenir à une meilleure alimentation sur des bases plus holistiques ? Il n’y a pas d’autres moyens que d’enseigner davantage la nutrition holistique dès le primaire et d’informer les gens qui pourront alors faire d’autres choix alimentaires, passant du statut de « ‘con’ sommateur » à « ‘consom’ acteur » comme on a coutume de dire. Ce n’est qu’à ce prix que des recommandations nutritionnelles holistiques de qualité pourront être proposées au grand public. Alors une approche plus réductionniste reprendra tout son sens initial : celui de démêler certains mécanismes en cause, mais au service de notre santé pas au service du profit !

Tribune libre par Anthony FARDET, chercheur en Alimentation Préventive

[1]Biochimiste et nutritionniste américain né en 1934, notamment célèbre pour son ouvrage intitulé « The China Study » publié en 2005.

[2]Comme cela a bien été démontré pour le b-carotènes, certaines vitamines ou les phytostérols

[3]Holistique vient du grec ancien holos qui signifie « entier ». On retrouve par exemple la même racine dans « hologramme ». L’holisme considère que le « tout est supérieur à la somme des parties » (2 > 1 + 1)

[4]Le réductionnisme fractionne la réalité en entités isolées pour mieux les étudier sur la base que le « tout n’est que la somme des parties » (2 = 1 + 1)

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