Quand le sol se dérobe sous nos pieds

19 août 2015

Ressource aussi essentielle que non renouvelable, la terre est victime de dégradations et de destructions plus ou moins irréversibles depuis ces dernières décennies : agriculture intensive, bétonisation, pollution…Il est grand temps de mettre à profit les évolutions techniques et écologiques qui permettront, dans un futur qu’on espère proche, de mieux respecter nos sols.

Sans avoir toujours conscience de l’immense valeur des sols, nous les foulons, les labourons, les bétonnons, les polluons. Rarement, nous les regardons de près pour constater qu’ils constituent à eux seuls de véritables écosystèmes. Ils abritent en effet un quart de la biodiversité de planète ! Des milliards de micro-organismes, bactéries, champignons et protozoaires, insectes, acariens et vers vivent à nos pieds. Leur importance pour l’humanité est telle que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a déclaré 2015 Année internationale des sols. Car la situation n’est guère brillante. Environ 33% de nos sols sont en phase de dégradation modérée ou sévère.

Or il faut 2000 ans pour que créé une couche de dix centimètres de terre fertile sous l’action des plantes, de l’eau et d’autres éléments physiques et biologiques qui transforment la roche mère. Dix petits centimètres…Et il suffit de quelques années pour détruire cet écosystème qui nous rend un service vital, celui de faire pousser les végétaux, nos aliments, nos fibres, nos combustibles et nos précieuses plantes médicinales. Sans oublier leurs nombreuses autres fonctionnalités : les sols absorbent, stockent et purifient également l’eau. « Ils assurent un pouvoir tampon vis-à-vis des événements climatiques extrêmes tels que les inondations, la sécheresse, la canicule », détaille Dominique Arrouays, chercheur et président de l’Association française pour l’étude du sol (AFES). Par ailleurs, on sait désormais qu’ils constituent la plus grande réserve de carbone organique de la planète, plus du double de celui stocké dans la végétation. «  Tous les pédologues savent, grâce à une simple règle de trois, qu’une augmentation relative de 4 pour 1000 des stocks de matière organique des sols chaque année suffirait à compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète », martèle le chercheur. Ils sont donc potentiellement capables de réaliser de véritables prouesses…

Appauvrissement alimentaire

Dans la protection des sols, le secteur agricole a évidemment un rôle crucial à jouer. Selon le dernier inventaire d’occupation des sols réalisés en France, en 2006, les terres agricoles représentent 60% du territoire, contre 34% de forêts et autres espaces naturels, 5% d’espaces artificiels et 1% de zones humides et surfaces en eau. La facture de plus de cinq décennies d’agriculture intensive ayant recours massivement aux engrais minéraux et aux pesticides est lourde : tassement des sols, destruction de la vie microbienne, perte de matière organique, érosion, chute de la biodiversité, pollution de l’eau…Les agronomes Lydia et Claude Bourguignon ont les premiers en France lancé l’alerte sur cette « agonie des sols », incriminant notamment le labour qui, aujourd’hui,, retourne la terre parfois jusqu’à 80 cm de profondeur, la déstructurant fortement et de façon durable. Depuis de nombreuses années, le couple de scientifiques accompagne des agriculteurs pour qu’ils redonnent vie à leurs sols : le labour est remplacé par le semis direct couvert végétal ; ils sèment des cultures intermédiaires qui piègent le nitrate et servent d’engrais naturels ; les vignes et les vergers sont enherbés, les arbres sont replantés autour des champs… Cs techniques écologiques commencent à séduire de nombreux acteurs du monde agricole soucieux de l’environnement ou qui constatent des baisses de rendement et de qualité. Petit à petit, les consciences évoluent.

Les Bourguignon alertent aussi sur les risques de carences alimentaires liés à la diminution de l’activité biologique des sols. «  Il y a un effondrement des teneurs en microéléments (bore, sélénium, cadmium, zinc…), car les microbes qui chélatent les sols [les intègrent aux plantes, ndlr] disparaissent, et il n’existe pas d’autre entrée possible dans les végétaux, explique Claude Bourguignon. Or ces microéléments sont indispensables à de nombreuses activités enzymatiques essentielles au bon fonctionnement des organismes humains. » Sur le site dédié à l’Année international des sols, la FAO nous apprend qu’il existe des preuves de la relation entre les carences et le zinc, en sélénium, et en iode chez les êtres humains et les carences de ces mêmes oligo-éléments dans les sols. « Pour moi, la carence alimentaire est encore plus grave que les pesticides », ajoute le spécialiste.

La baisse de vitalité des sols nuit aussi à la qualité gustative des aliments. La terre, c’est le terroir ! « Dans les vignobles, le goût des vins revient lorsqu’on arrête le désherbage chimique, car les sols revivent et permettent aux racines d’aller plus profondément chercher leur nutriments », témoigne Claude Bourguignon. Dans sa région, la Bourgogne, il se réjouit de compter désormais environ 300 viticulteurs bio sur les 1500 exploitants, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée dans les années 1990. Contrairement à l’agriculture conventionnelle, la bio a toujours eu comme préoccupation centrale la terre, avec comme credo « nourrir le sol pour nourrir la plante ». A la fin des années 1950, en Grande Bretagne, le premier grand regroupement de producteurs bio s’appelle Soil Association (Association du Sol). D’autres modes de culture offrent aussi des alternatives à l’agriculture intensive. L’agro-écologie chère à Pierre Rabhi, l’agroforesterie ou encore la permaculture fédèrent des agriculteurs et des jardiniers qui considèrent les sols comme un matériau vivant.

Revaloriser les terroirs

Mais pour autant, les menaces perdurent. En 2002 avait émergé l’idée d’une directive européenne sur les sols, comme il en existe une pour l’eau eu une autre pour l’air. La Commission avait listé les principales menaces qui pèsent sur les sols en Europe, notamment l’érosion qui touche 20% du territoire. Mais le projet permettant de bâtir une politique de protection a définitivement été enterré : un regret pour ceux qui savent la valeur du sol, un soulagement pour les lobbies agro-industriels qui veulent continuer à vendre leurs technologies destructrices. « Toute opération d’aménagement devrait comporter a minima une vraie étude des sols et de leurs services écosystémiques afin de préserver les meilleures terres », revendique notamment Dominique Arrouays lors des réunions scientifiques et politiques auxquelles il participe.

Lydia Bourguignon rappelle qu’autrefois, les villes avaient des ceintures de maraîchage : « Il faut retravailler la vocation des sols, car on ne plante pas la même chose sur des terres caillouteuses et sur de riches limons », précise l’agronome qui regrette qu’ « en Bourgogne, sur le plateau de Langres, on faisait la meilleure moutarde de Dijon, mais on la remplacée par le maïs ». Par ailleurs, des sols pauvres ne sont pas forcément infertiles ! Ils sont potentiellement intéressants pour la production d’aromatiques. «  Les molécules actives des huiles essentielles seront plus présentes dans les plantes qui poussent sur ce type de sol », explique Lydia Bourguignon. Comme pour le vin, rien ne sert de trop fertiliser, de trop arroser, pour que la plante s’enracine profondément, et aille se nourrir au plus près de la roche mère. Protéger la santé des sols, c’est plutôt tenir compte de leur spécificité. Continuons donc de revaloriser nos terroirs !

Par Adeline Gadenne avec l’aimable autorisation de Plantes & Santé

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